L’Association Française d’Études Américaines (AFEA) exprime son indignation face aux attaques du gouvernement contre les sciences humaines et les libertés scientifiques de l’université
Le bureau de l’AFEA exprime sa très vive indignation face aux récentes prises de parole gouvernementales sur le prétendu « islamo-gauchisme » qui, selon plusieurs ministres, se répandrait aujourd’hui dans la recherche universitaire. Ces déclarations poursuivent deux objectifs inacceptables : d’une part, intimider les chercheurs et chercheuses qui travaillent sur les discriminations, les inégalités et toutes les formes de domination liées au genre, à l’orientation sexuelle ou à l’appartenance à une minorité visible ; d’autre part, freiner le développement des disciplines qui prennent ces réalités sociales pour objet en agitant le spectre de prétendues dérives idéologiques qui, au sein de l’université, feraient le jeu d’un « séparatisme » dangereux pour notre République.
« Liberté, égalité, fraternité » : la devise de la République résume pourtant les raisons qui imposent d’étudier toutes les discriminations, d’analyser leurs mécanismes et d’identifier les manières dont elles se perpétuent. Quel sens y a-t-il à vouloir lutter contre les « séparatismes » quand on refuse de s’interroger sur les discriminations ? Cela n’a pas empêché de trop nombreuses chaînes de télévision, quotidiens et magazines d’opinion de faire caisse de résonance ces derniers jours aux discours éminemment partisans de plusieurs ministres pour qui l’université est la source de tous les maux, notamment Jean-Michel Blanquer (ministre de l’Education Nationale) et Frédérique Vidal (ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche), mais aussi Gérald Darmanin (ministre de l’Intérieur) qui leur a apporté son soutien.
Une première conséquence de ces discours apparaît déjà. Le Monde du 2 mars 2021 a révélé qu’une fiche de poste d’enseignant.e-chercheur.euse a été modifiée en catimini : les mots « discriminations ethnoraciales », « inégalités de sexe, de sexualité ou de classe », « intersectionnalité » ont disparu du descriptif publié sur le site du Ministère de l’Enseignement Supérieur. On dépasse ici le stade de la prise de position politique ou de l’intervention dans le débat public : c’est la procédure de recrutement d’un.e futur.e enseignant.e-chercheur.euse qui est ainsi censurée pour des raisons purement idéologiques, au mépris de l’autonomie des universités et des instances démocratiquement élues qui, au sein de l’établissement concerné, ont rédigé et voté le texte ainsi caviardé.
Nous avons pris l’habitude, ces dernières années, de signer des pétitions de soutien à nos collègues universitaires du Brésil, de Hongrie, de Turquie ou de Pologne, pays où des gouvernements autoritaires prennent ouvertement pour cible les recherches sur les inégalités et les discriminations (notamment celles liées au racisme, à la xénophobie, au sexisme ou à l’homophobie). Aujourd’hui, nous constatons avec stupéfaction que nous sommes visé.e.s nous aussi par ce néo-maccarthysme. Désormais, ce sont nos collègues européen.ne.s et américain.e.s qui signent tribunes et pétitions pour défendre les libertés académiques en France. Le 25 février 2021, l’Association des Universités Européennes a apporté son soutien au communiqué par lequel la Conférence des Présidents d’Université s’émouvait de la demande, par la ministre Vidal, d’une enquête sur l’islamo-gauchisme dans les universités.
Le Monde du jeudi 4 mars a publié une tribune de 200 universitaires américain.e.s sobrement intitulée « Islamo-gauchisme : Nous ne pouvons manquer de souligner la résonance avec les plus sombres moments de l’histoire française ».
Ce que nous vivons est une honte.
La chasse aux sorcières actuelle ne trompe personne : le gouvernement essaie ainsi de se rallier les voix de l’extrême-droite en amont des échéances électorales de 2022. Attaquer publiquement des disciplines universitaires, au mépris des libertés académiques que protège la Constitution, est une manœuvre grossière et autoritaire qui tend à détourner l’attention de nos concitoyen.ne.s des questions qui se posent vraiment à l’université : que fait le gouvernement face à la détresse étudiante ? Comment entend-il lutter contre la précarisation de ces jeunes adultes victimes de la crise sanitaire ? Pourquoi accroît-il la précarité à l’université au travers d’une loi de programmation de la recherche (LPR) que l’écrasante majorité des universitaires a rejetée ?
Nous appelons les ministres Blanquer, Vidal et Darmanin à faire montre de la décence que leur impose leur fonction. Que sur Twitter ou sur des chaînes d’information continue, des personnalités influentes moquent publiquement le sujet de thèse de doctorant.e.s en études culturelles, postcoloniales ou décoloniales est d’une rare lâcheté : c’est s’en prendre aux plus vulnérables des jeunes chercheurs et chercheuses, celles et ceux qui peuvent craindre de voir leurs débouchés de carrière ainsi compromis. Les déclarations ministérielles légitiment des dénonciations et des déchaînements de haine sur les réseaux sociaux, et l’on se souviendra qu’en novembre dernier, certain.e.s de nos collègues avaient reçu des menaces de mort dans la foulée de propos du même ordre.
C’est inadmissible.