Appels à ateliers

The Fear Factor

2009 AFEA congrès :
Marie-Claude Chenour – Paris X ;
John Dean – Université de Versailles ;
Marie Lienard – Ecole Polytechnique.

LA PEUR / THE FEAR FACTOR

Réelle ou imaginaire, la peur imprègne l’Amerique. Le sociologue Barry Glassner parle même d’une ‘culture de la peur’. Ce que l’on peut appeler en anglais ‘the fear factor’ prend en effet plusieurs visages–DES peurs: celles d’un Autre, qu’il soit humain ou naturel (‘the wilderness’); pour Arthur Miller, la diabolisation de l’autre est ‘endémique’ dans l’histoire américaine. La peur n’est peut-être que le revers d’une grande liberté–le paradoxe d’une démocratie ou tout semble permis mais ou tout, finalement, devient impossible. La violence, par exemple, est-elle le symptôme de cette peur viscérale et originelle? Crée, fantasmée, redoutée ou desirée, la peur secrète anxiété, terreur, horreur, sublime ou abjection qui, à leur tour, génerent des postures sociétales: lois, programmes politiques, institutions…l’architecture urbaine même rélève de la peur (cf en particulier City of Quartz de Mike Davis). La peur est-elle, comme le suggère Glassner, une ‘creation des nantis pour distraire les pauvres: l’insecurite ‘fait de l’argent’ en creant des substituts symboliques. La peur est-elle un outil politique? Quelles modalites a-t’elle prise dans l’apres 11 septembre? Que recouvre t-elle ? Comment expliquer la focalisation irrationnelle sur certaines peurs (‘road rage’, maladies, accidents d’avion) alors que d’autres dangers réels guettent l’Amérique et reçoivent peu d’attention (paupérisation de sa société par exemple)? La littérature, en particulier à travers l’esthétique grotesque et gothique, a tenté de donner une forme et une voix à la peur.

Nous aimerions donc proposer une exploration de la peur dans ses nombreuses expressions: société, littérature, cinéma, arts, y compris musique. Voici quelques axes.

En civilisation, on pourrait commencer par Jamestown, en 1607, et l’incident de cannibalisme rapporté par John Smith, et l’appel de William Bradford à ses concitoyens en 1620, ces futurs américains qui transportent, comme il l’indique, “Husbands, Wives, Little Ones and Substance over the vast Ocean into this waste and howling Wilderness”. On pourrait considérer Pearl White lorsqu’elle joue dans le célèbre film féministe The Perils of Pauline et proclame qu’elle est tombée amoureuse de la peur…Il faudrait bien sûr explorer les peurs actuelles autour du terrorisme et des entorses faites aux droits civiques dans le cadre du Patriot Act (qui, officiellement, a pour but “d’unir et de fortifier l’Amérique en lui donnant les outils appropriés pour intercepter et empêcher tout acte terroriste à la 2001”).

La peur, dans ses modalités américaines, a toujours rempli plusieurs fonctions. Elle a servi à éveiller la conscience du public américain à des dangers physiques ou spirituels, à créer la panique, à servir les intérêts des “Powers To Be”, à entretenir frictions et alliances au niveau local, national et international. La peur reste donc un sujet à débattre à partir de la vie réelle et imaginaire de l’Amérique–d’une actualité encore plus sensible, peut-être, dans l’ère de l’après 11 septembre.

L’expression de la peur en littérature peut se décliner sous des formes variées qui vont de la dérision à la distorsion, de l’ellipse et des silences porteurs d’angoisse au trop plein et à l’excès masquant le doute. Elle peut emprunter le mode intimiste et subjectif de l’impressionnisme ou au contraire se faire cri de détresse à la manière expressionniste. Elle peut se murmurer dans la confession ou exploser dans l’imprécation. Mais, de façon générale, elle s’organise autour de trois grands axes :

D’une part, la littérature se fait caisse de résonance d’angoisses venues de l’extérieur auxquelles elle donne une forme emblématique, les amplifiant, les modulant ou les transposant (ce sera le cas, par exemple, des littératures de l’après guerre, avec le théâtre de l’absurde, le goût du suicide méthodiquement examiné chez Lowell et Plath, la rage superbe de Ginsberg dans Howl, les obsessions de Pynchon dans V). A la génération précédente, celle qu’on disait « perdue », la peur était surtout celle du conformisme, du provincialisme, de la modernité mécanisée et standardisée qui faisait fuir « Main Street » pour se réfugier à Paris. Au 19ème siècle, ce pouvait être la peur devant les immenses territoires inconnus et la présence diffuse du Mal sous toutes ses formes.

D’autre part, la littérature explore les territoires sombres de l’inconscient, les fantasmes et les terreurs d’un imaginaire exacerbé, les hantises d’un monde intérieur peuplé de fantômes. Dans ce domaine, l’Amérique possède une tradition riche qui commence avec Edgar Poe, Henry James, Lovecraft et se prolonge avec Paul Auster, dont les textes introspectifs pétris d’épouvante ressassent la solitude du créateur qui pourrait bien mener à la folie.

Enfin, comme ce dernier exemple le suggère déjà, la peur en littérature peut prendre une dimension métafictionnelle : c’est celle de « the anxiety of influence », celle des grands ancêtres dont l’ombre obscurcit la page blanche ; c’est aussi « the anxiety of authorship » (comme l’ont formulé Sandra Gilbert et Susan Gubar), l’inquiétude de tous ceux (femmes ou écrivains des minorités) qui, au moment de prendre la plume, se sentent paralysés par un sentiment d’illégitimité.

Nous proposons donc d’explorer la spécificité de la presence de LA peur dans la conscience américaine au-dela de ses modalités dans les peurs. Cette peur qui decline obsessions et hantises, cauchemars et angoisses est-elle constitutive du projet américain–sa malédiction, son ‘soleil noir’ dirait Kristeva, son double ?

– 1er juillet 2008 : date butoir de propositions d’atelier.
– 14 juillet 2008 : réponses données aux responsables d’atelier.
– 31 octobre 2008 : date butoir de composition des ateliers & de propositions de communications.

Chronologie civilisation (John Dean) La Peur / The Fear Factor – an American Timeline