Congrès 2000 – Aix en Provence “L’Amérique image”

L’Amérique image
26-28 mai 2000
Université d’Aix-en-Provence

 

Projet scientifique

François Brunet (Université Denis-Diderot-Paris 7) et Jean Kempf (Université Lumière-Lyon 2)

Ce thème procède d’abord d’un constat en forme de paradoxe. Si l’image est à l’évidence une forme massive de la culture américaine et de sa diffusion, et si elle est pour les américanistes un objet ou un auxiliaire de recherche fréquent, elle reste peu ou mal représentée dans nos enseignements, et n’a pas encore donné lieu à une confrontation collective de l’envergure que permet un congrès de l’AFEA. Faut-il en déduire que l’évidence se suffit à elle-même? Ou encore que l’image est l’affaire de spécialistes patentés? Le thème proposé pourrait servir à combler cette lacune, pour autant qu’on saura éviter le saupoudrage du type "images de l’Amérique", et promouvoir au contraire une réflexion plus large et plus fondamentale sur les liens entre Amérique et image, conçus avant tout comme des objets de discours, plutôt que comme des réalités immédiatement accessibles : en particulier, il s’agira donc plutôt de l’"objet" Amérique que du pays Etats-Unis. Pour cette raison, cette réflexion devrait également s’apparenter au moins en partie à une exploration du point de vue européen et français sur l’Amérique, autour des cinq axes suivants.

1) AMERIQUE / IMAGE, OBJETS DE PENSEE OU OBJETS IMPENSES?

Depuis 1800 au moins, une représentation puissante a fonctionné avec constance dans la culture européenne, française en particulier : l’Amérique comme image. Un premier axe de travail, résolument théorique et philosophique, viserait à faire l’archéologie, au sens de Foucault, d’une sorte d’équation discursive réversible qui postule à la fois Amérique = Image et Image = Amérique, sans qu’on sache souvent à quoi ressemble l’"objet" ainsi esquissé. L’image est-elle, après tout, une notion mieux établie que l’Amérique? On suivrait notamment la trace de cette équation au sein d’une tradition savante française, relayée sans doute par le discours des médias, où l’objet biface Amérique/Image est souvent affecté d’une valeur euphorique ou dysphorique. Il s’agirait donc ici d’examiner une véritable formation discursive, d’en repérer les effets plus ou moins réguliers et contraints (pauvreté de l’image et de la culture américaine, etc.), et d’en chercher, par-delà les variations historiques, le socle conceptuel, culturel, et sans doute politique. Dans cette perspective, explicitement théorique, on pourrait être amené à se demander si le double objet Amérique / Image n’est pas un grand impensé de la culture européenne, et si celle-ci ne s’est pas appuyée sur ce grand impensé pour fonder ou refonder – fût-ce négativement – son propre projet.

2) L’AMERIQUE COMME IMAGE DU FUTUR: UNE HISTOIRE A FAIRE

A l’approche de l’an 2000, on vérifie chaque jour la prégnance de ce thème de l’Amérique comme image du futur (du futur de l’Europe en particulier), thème évidemment lié au précédent et qui pourrait peut-être être traité conjointement. Ce thème futuriste est probablement plus étroitement idéologique ; mais ici encore, nous avons affaire à un corpus de représentations anciennement enraciné, et qui n’a cessé de se renforcer, sinon de se renouveler. De multiples axes seraient à repérer et explorer, de la science-fiction américaine elle-même à la rhétorique des journaux télévisés français, sans oublier la théorie sociale et politique – domaine où l’on pourrait être amené en particulier à interroger encore une fois le projet européen, par exemple sous la forme des "Etats-Unis d’Europe". Comment fonctionne et que produit cette autre formation discursive? L’Amérique sert-elle ou non à penser l’avenir, et comment? Il y a là un grand chantier potentiel pour une histoire intellectuelle, culturelle et politique, et sans doute pas exclusivement liée au point de vue européen. En effet, d’une part, on pourrait chercher à retrouver cette représentation au-delà de l’Europe, et particulièrement dans les pays d’émigration récente; d’autre part, on pourrait reprendre toute l’histoire intra-américaine des visions futuristes, adamistes, voire millénaristes, afin notamment de cerner plus précisément la complémentarité entre l’Amérique comme image du futur et l’Europe (ou le reste du monde) comme image du passé.

3) L’AMERIQUE AU-DELA DES MOTS : L’IMAGE COMME RECOURS

Non moins important pour l’enquête est un thème que le congrès "Traduire l’Amérique" a croisé de diverses façons, sans avoir vocation à le traiter. Il s’agit de l’image comme remède à un irreprésentable américain, comme modalité privilégiée (fût-ce de façon purement oratoire) d’appréhension et de présentation d’une "réalité" ou d’une "hyper-réalité" américaine présentée ou perçue comme "au-delà des mots". Ici encore, il s’agira moins d’accumuler des monographies sur telle ou telle entreprise visuelle individuelle, que de chercher à établir les régimes, les enjeux et les produits d’une arborescence de discours, dans laquelle cette fois les points de vue européen et américain doivent sans doute être invoqués de front. Quelques modalités de l’incommunicable américain, et des recours à l’image que celui-ci a souvent induits, apparaissent avec une grande constance dans l’histoire des représentations: le gigantesque ou le sublime, naturel mais aussi urbain et social; l’éclatement du concept (politique, national, urbanistique, etc.) dans le percept kaléidoscopique; le babélisme ou le multilinguisme. Pourquoi l’objet Amérique – encore une fois, il s’agit ici plutôt de l’objet de discours Amérique que du pays Etats-Unis – appelle-t-il si systématiquement la médiation par l’image? Comment fonctionne ce recours à l’image, et que révèle-t-il quant au statut même de l’image? Ces questions pourraient être l’occasion de faire le point sur quelques entreprises – grandes et petites – de visualisation de l’Amérique.

4) UNE CULTURE DE L’IMAGE?

Ce thème, qui résume en un sens les précédents, n’est autre que la question attendue, mais rarement discutée au fond, de la culture américaine comme culture de l’image. Parce qu’elle concentre à elle seule toutes les idées reçues et tous les contentieux idéologiques, il faut ici avancer avec prudence. Un préalable nécessaire consistera ici encore à interroger cette notion d’image et sa simplicité sans doute illusoire (au-delà de la diversité des médias, qu’en est-il, par exemple, de la question des genres?) Un premier sous-axe sera résolument historique : s’il y a une culture de l’image aux Etats-Unis, elle n’est certes pas consubstantielle à l’identité nationale, et ne s’est imposée que progressivement et incomplètement, sur fond d’un substrat profondément ancré dans l’écriture et le discours. Comment s’est opérée cette mutation? Il est à remarquer qu’on ne dispose pas encore d’une histoire générale des formes, des genres et des pratiques de l’image aux Etats-Unis : ce congrès pourrait être l’occasion d’ouvrir un tel chantier. En second lieu, une approche plus sociologique devra interroger l’étiquette "populaire", si souvent appliquée à l’image, et examiner la stratification des pratiques de l’image dans la culture américaine, ainsi que dans sa diffusion à l’étranger. L’image – de télévision – est-elle par définition "populaire"? La peinture est-elle "savante"? Ces questions gagneraient à être examinées dans des contextes précis. Il en va de même de la transmission des images, de leurs codes et de leurs contenus, à travers des frontières culturelles et sociales.

5) IMAGE ET PEDAGOGIE DE l’AMERIQUE

Les différents axes précédents pourraient être complétés par un travail d’auto-observation sur nos usages de l’image dans l’enseignement. Quelle est la place de l’image dans cet enseignement? Si l’image est un canal de diffusion privilégié de l’objet Amérique, comment ce phénomène est-il intégré dans nos enseignements? Y a-t-il ou non dans la définition de nos cursus une sous-représentation de l’image? Cette question est évidemment minée par diverses difficultés, à commencer par la définition de la notion d’image. Pour éviter les débats oiseux, il faudra si possible dresser un état des lieux : quel(s) type(s) d’enseignements utilisent les images, comment et pourquoi? Quelles sont nos pratiques et nos méthodes de commentaire d’image? Qu’est-ce exactement que commenter une image, par exemple en cours de civilisation, et comment s’opère le repérage des éléments historiques, mythologiques, stylistiques, etc., bref la "mise en mots" des images? Comment convoquons-nous ces codes, ces contextes ou ces interprétations? Ne faut-il pas opposer, au fantasme de la communication efficace par l’image, sa formidable opacité sémiotique et historique? Quelle que soit la forme précise de ces interrogations, il nous semble crucial qu’un congrès de l’AFEA sur L’Amérique-Image engage cette réflexion méthodologique et pédagogique, trop souvent remise aux calendes grecques. N’oublions pas que les calendes grecques, c’est l’an 2000.

Programme

Vendredi 26 mai

11h : Accueil des congressistes
13h30-15h : Ouverture du congrès et conférences croisées :
Marc Chénetier (Paris 7 ; IUF) : "A capacity for wonder" ou "Du cantique au quantique" : jeux d’images.
François Weil (EHESS) : Lire Tocqueville
15h30-18h30 : Ateliers 1, 3, 5, 7, 9
19h : Vernissage d’une exposition de peintures et de photographies d’étudiants du département d’arts plastiques de l’Université de Provence sur "L’image de l’Amérique"
21h : Réunion du bureau

Samedi 27 mai

9h : Assemblée générale de l’AFEA
11h : Séance plénière :
Jacques André (réalisateur et conseil en projets culturels) et Derrick Cartwright (Directeur du Musée américain de Giverny) : Enjeux croisés dans les institutions culturelles des Etats-Unis en France : panorama général et exemple du Musée d’art américain de Giverny.
14h-15h00 : Conférence plénière :
Alan Trachtenberg (Yale) : Imaginary Nation: The Photographic Making of "America"
15h15-16h15 : Ateliers 2, 4, 6, 8, 10
16h15-16h45 : Pause café
16h45-18h45 : Ateliers 2, 4, 6, 8, 10
20h30 : Banquet

Dimanche 28 mai

10h-12h30 : Discussion plénière sur l’atelier-poster
"Teaching America with Images". Débat conduit par Divina Frau-Meigs, Orléans et Maren Stange, Cooper Union, NYC
En permanence :

Présentations des documents de l’atelier poster
Exposition sur l’Amérique image (dans un environnement français) proposée par le Département d’arts plastiques de l’Université de Provence.
Démonstration de programmes de l’INA sur la pédagogie de l’image.

PROGRAMME DES ATELIERS

1-2. UTOPIES ET FUTURISMES : 2 sessions

(Antoine Cazé, Orléans)

Session 1

Kerry SOPER (Brigham Young) : America as Utopian Futurama or Dystopian Simulacra: A History of the Ideological Codings and Uses of Images of America as the Future.
Oha OBODODIMMA (St-Louis, Sénégal) : Documenting the Future of the American Past : Christian Visualizations of the American Success.
Patricia SMORAG (Besançon) : L’éloquence toponymique au service d’une Amérique repensée
Salah EL MONCEF (Nantes) : Life after Truman? The Televisual Image as Imaginary Mediation and the Symptomatic Eruption of the Real.
Session 2

Didier AUBERT (Lyon 2) : Photographie et utopie : Pittsburgh en images au tournant du siècle.
Géraldine CHOUARD (Paris 9) : L’Amérique comme patchwork.
Donna ANDREOLLE (Grenoble 3) : "An Ambiguous Utopia" : Images of the American communitarian ideal in Peter Weir’s Witness (1985), The Mosquito Coast (1987) and The Truman Show (1996)

 

3. CINEMA

(Francis Bordat, Paris 10 / Melvyn Stokes, University College, London)

Virginie GUICHARD (King’s College, London) : Cinéma-USA : une union nécessaire.
Carlo ROTELLA (Boston College) : Tougher Things Going On. The New Urban Cinema of the 1970s.
Dominique SIPIERE (Littoral) : Les Amériques d’Alfred Hitchcock.
Melvyn STOKES (University College, London) : Structuring Absences : Images of America Missing from the Hollywod Screen.
Alain COHEN (UC San Diego) : Images du "morphing" et "morphing" de l’image dans le cinéma américain contemporain.

4. IMAGES D’AMERIQUE
Les miroirs déformants de la politique étrangère

(Pierre Guerlain, Le Mans / Annick Cizel, Paris 3)

Aïssatou SY-WONYU (Rouen) : "In thirty years, the city of Mexico shall be the capital of the United States" : jeux de miroirs entre les Etats-Unis et le Mexique à travers la vision de W.H. Seward.
Anne OLLIVIER-MELIOS (Lille 3) : Le discours intellectuel : miroir déformant ou image fidèle du discours politique en Amérique entre 1914 et 1921 ?
Annick CIZEL (Paris 3) : Clichés d’Amérique, ou les Etats-Unis idéalisés à des fins de propagande (1945-1960).
Larry PORTIS (Montpellier 3) : US Foreign Policy and Nationalistic Rhetoric in the Israeli-Palestinian Conflict : The strategic and political uses of metaphor and analogy.
Pierre GUERLAIN (Le Mans) : L’anti-américanisme et sa dénonciation : rhétorique et jeux de miroirs.

5-6. SPECTACLES DE L’AMERIQUE : 2 sessions

(Philippe Jaworski, Paris 7)

Session 1 : XIXe siècle

Steven NEUWIRTH (Western Connecticut State University) : ‘Savage’ America(ns) : The Glorification of a Negative Ideal.
Robert LEWIS (Birmingham) : Innocent Savages : The American Image on the London Stage in the 1840s.
Mick GIDLEY (Leeds) : Reading Indian Photographs Problematically.
Brian LE BEAU (Creighton): America as Imagined by Currier and Ives.
François SPECQ (Lyon 2) : L’Amérique selon Frederick Church.
Session 2 : XXe siècle (co-responsable Mick GIDLEY, Leeds)

Michelle HOFFMANN (Berkeley) : The Media Spectacle of Eugene Weidmann and the image of American gangsterism as cultural trope.
Claudine ARMAND (Nancy) : Andy Warhol : portrait(s) de l’Amérique
Gérard SELBACH (Paris 5) : Le Musée Getty : le musée imaginaire de la presse française.
Susan BLATTES (Grenoble 3) : La parole et l’image : culture populaire et post-modernisme dans le théâtre contemporain américain.

7-8. L’AMERIQUE MODELE ET ANTI-MODELE : 2 sessions

(Sylvia Ullmo, Tours)

Session 1 : Images et modèles et influences : l’Amérique et les Autres.

Dominique DANIEL (Tours): L’immigration canadienne face au modèle américain.
Christina KLEIN (MIT) : America in the Post-Colonial Filipino Imagination
Claude. FERAL (La Réunion) : USA-Afrique du Sud : influences de la pensée post-ethnique.
Meelis LEESIK (Tartu, Estonie) : Americanisation: the Roots of A Tension in Intercultural Communication?
Session 2 : Images d’Amérique : kaléidoscope ou jeu d’ombres?

Shoji GOTO (Rikyo, Tokyo) : Transcendental Images and Ideas of America
Bénédicte ALLIOT (Paris 7) : Images of African America in Toni Morrison’s Fiction: A Nondescript Space
Eliane EL MALEH (Le Mans) : Images et militantisme : le mouvement artistique féministe américain et ses représentations
George HANDLEY (Brigham Young) : Oedipus in the Americas: Running from Images of the US
Hal BUSH (St. Louis) : Mark Twain as Image of America

9-10. FICTIONS DE L’IMAGE : 2 sessions

(Noëlle Batt, Paris 8)

Session 1 : Écrire-imager

Rédouane ABBOUDAHAB (Lyon 2) : Scott Momaday et l’écriture plastique
Claude BREMONT (Aix-en-Provence) : Fictions de l’image. Paul Auster : L’Œil de la caméra.
Carlo BROOKS (Pau) : L’Amérique-image et l’écriture vidéo chez Don De Lillo
Hélène PERRIN (Paris 8) : Flou photographique ou les avatars d’un topos
Florian TREGUER (Rennes) : De l’image comme Americana première : la "télé-vision" de Don DeLillo
Session 2 : Paysages-fiction

Yves ABRIOUX (Paris 3) : "Aspects and Prospects". Pittoresque et romanesque dans The American Scene de Henry James.
Emmanuelle DELANOE-BRUN (Paris 7) : L’Amérique entre ruines et désert : le refuge imaginaire dans The Moviegoer de Walker Percy.
Mathieu DUPLAY (Lille 3) : "Conical Hills" : le problème des coniques dans Death Comes For the Archbishop de Willa Cather.
Mireille HARDY (Cherbourg) : Images virtuelles de l’Amérique : "The Domain of Arnheim" d’E.A. Poe et Central Park de F.L. Olmsted.
Monica MANOLESCU-OANCEA (Paris 7) : Le paysage aux sentiers qui bifurquent : images transatlantiques en dialogue dans Lolita et Ada de Vladimir Nabokov.

ATELIER-POSTER
TEACHING AMERICA WITH IMAGES

(Divina Frau-Meigs, Orléans et Maren Stange, Cooper Union, NYC)

Thomas HEED, Edward SHANNON, Jennifer MAZZA (Ramapo College, NJ) : Teaching Images of America with multi-media.
.
Claudia DESBLACHES (Tours) : Les peintures et bas-relief de e. e. cummings : des icônes à l’anamorphose.
Laurence GERVAIS (Paris 8) : Teaching the American city : The role of images
Catherine POUZOULET (Lille 3) : Images de New York. Un regard en histoire urbaine.
Ronan LANCELOT (Paris 13) : New York dans la bande dessinée francophone.
John DEAN : Teaching the Blend of Word and Image : The New York Example.