Texte de cadrage

Chantiers d’Amérique

dernière semaine du mois de mai 2016, Toulouse

En 2005, le congrès de l’AFEA à Lille avait pour thème « État de l’art ». Il s’agissait de faire un bilan des études américanistes. Dix ans après ce congrès, on cherchera à s’interroger sur la redéfinition en cours des études américanistes, sur l’évolution des champs déjà constitués et l’émergence de nouveaux champs. Ce congrès se veut ouvert à toutes les disciplines que regroupe l’AFEA afin d’observer, de penser et de cartographier ce à quoi les américanistes travaillent. La notion de chantier vise également à susciter des échanges fructueux sur la redéfinition des objets, outils, perspectives et concepts existants, y compris par des comparaisons entre les études américaines en France, aux Etats-Unis et ailleurs. Sont bienvenus des ateliers « pratiques » aussi bien que théoriques sur les outils de la recherche et de la pédagogie universitaire.

On pourra notamment penser au recours aux pratiques de terrain, parfois sous de nouvelles formes (observation participante, entretiens in situ ou électroniques, usages et études des réseaux sociaux, recherche participative) ainsi qu’à l’étude des phénomènes du contemporain (histoire du temps présent, Joan Scott, débat sur le présentisme) ; aux expériences de création dans la recherche, de recherche-action, de recherches axées sur des pratiques ; ou aux nouveaux champs et enjeux (creative writing, médiation interculturelle, traduction, improvisation, nouveaux domaines de la culture populaire, langue de spécialité). Les questions d’inter et de transdisciplinarité tant encouragées au sein des équipes de recherche ne manqueront pas d’être discutées. En même temps qu’à une recherche transformée par la pratique, c’est à un retour de la philosophie et de la réflexion théorique en tant que telle que les études américaines pourraient contribuer en France, comme en miroir de l’effet French theory né hier Outre-Atlantique d’un engouement fertile pour les post-structuralistes français.

La réflexion sur la façon dont les nouveaux médias et les nouvelles technologies de l’information affectent la recherche, en même temps que la façon dont ce dernier les prend pour objet, nous semble mériter d’être mise en évidence et amplifiée. A la suite des Etats-Unis, on a vu émerger les humanités numériques, la réflexion sur le sujet digital et la prise en compte des nouvelles technologies au sens large, qu’il s’agisse de création numérique en écriture ou dans les arts, de traduction assistée par ordinateur ou de festivals de films par téléphone portable. Comment les sources numériques, la redécouverte d’anciennes technologies ou la quasi gratuité des techniques de l’image remettent-elles en jeu les questions littéraires, artistiques, et de civilisation dans le champ des études américanistes ? Comment les changements technologiques, du film amateur super 8 au cinéma 3D, difficilement visible après sa diffusion en salles, affectent-ils les études esthétiques ? Comment le roman, le théâtre, la poésie thématisent-ils les nouvelles technologies et se transforment-ils à leur contact ?

Et, enfin, en quoi l’écriture, les arts, la théorie permettent-ils de penser les enjeux et les limites des nouvelles technologies ? Par exemple, les nouveaux conceptualismes en art et en écriture sont-ils une prise de position distanciée par rapport à ces technologies ? Ou encore, comment les trauma studies envisagent-elles l’utilisation, la pratique et les conséquences des nouvelles technologies ?

Certains croisements thématiques et méthodologiques inédits stimulent de nouvelles approches des objets les plus classiques. En témoignent les perspectives offertes aux études littéraires et civilisationnistes par les questions environnementales : théorie politique, esthétique et écocritique (C. Glotfelty et H. Fromm (dir.), The Ecocriticism Reader, Athens, University of Georgia Press, 1996) ; géographiques : jeux d’échelles, transnationalité (L.E. Guarnizo, M.P. Smith (dir.), Transnationalism from Below, New Brunswick, Transaction Publishers, 1997) ; juridiques : en imitation des pratiques interdisciplinaires de la recherche en droit aux États-Unis ; de race et de genre : controverses sur le postmodernisme ou l’intersectionnalité (Kimberlé Crenshaw). Il en va de même pour les opérations intellectuelles de comparatisme, de réflexivité et de décentrement qui caractérisent les approches culturelles, et qui ont permis de renouveler les études du canon littéraire, ou les analyses de l’État, du monde du travail ou des conflits sociaux.

Une question toujours d’actualité est la place des cultural studies dans le champ des études américanistes. Il y a à peine une génération, elles peinaient à se faire reconnaître comme légitime. Les cultural studies se déploient chaque jour davantage en thématisant des questions (gender studies, disability studies ou white studies) ou des objets (études télévisuelles, études des jeux vidéo, des romans graphiques ou des photographies policières) de plus en plus nombreux. La redécouverte de questions posées par l’engagement et le recours à l’expérience personnelle, il y a plusieurs décennies déjà dans les écrits de Gloria E. Anzaldúa, Eve Sedgwick, Michael Taussig ou Lisa Duggan, ne fait que commencer en France. Les approches directement politiques comme le black feminism (Patricia Hill Collins, Black Feminist Thought: Knowledge, Consciousness and the Politics of Empowerment, London, Routledge, 1999 [1990]) ou l’éthique du care (Carol Gilligan, In A Different Voice, Cambridge, Harvard University Press, 1982) restent à approfondir. Quant à l’étude des œuvres de la culture de masse immédiatement contemporaine, domaine classique des cultural studies depuis leurs origines, elle connaît un renouveau, notamment dans des analyses articulant récits mis en œuvres et structures des industries culturelles. Ainsi, on étudie moins aujourd’hui la représentation des minorités que la production artistique par les minorités. Les évolutions méthodologiques de ces nouveaux champs donnent ainsi matière à réflexion.

Ce congrès cherchera également à ouvrir la réflexion sur l’état des enseignants-chercheurs et sur l’influence de l’enseignement, et de son évolution, sur la recherche. Des programmes d’agrégation à la multiplication des M2 professionnels en passant par la fusion des UFR de langues et d’humanités, notre recherche est influencée par la structure des études universitaires et les débats actuels sur l’avenir des universités et des humanités. Ce congrès invite également les chercheurs issus d’autres métiers à partager la façon dont leurs activités annexes, qu’elles soient alimentaires, bénévoles ou militantes, nourrissent leurs recherches, et inversement.

Les organisateurs du congrès sont ouverts à toutes suggestions d’ateliers, de tables rondes, de projections, d’expositions, ou de toute autre manifestation de la recherche.

Les propositions d’atelier (civilisation, sciences sociales, sciences politiques, historiographie, philosophie, littérature, arts, méthodologie de la recherche) sont à envoyer au comité scientifique composé de Mathieu Bonzom , Vincent Broqua, et Anne Crémieux, conjointement, avant le 20 septembre 2015.