AFEA NEWS: CFP Revisiter l’archive : histoires collectives et libertés académiques/Revisiting the archive: collective histories and academic freedom
Appel à communications:
Revisiter l’archive : histoires collectives et libertés académiques
Université de Rouen-Normandie, 10 mars 2023.
Au cours de la deuxième moitié du vingtième siècle, les travaux et réflexions à propos de la notion d’archive se sont considérablement développés, notamment sous l’impulsion des philosophes Michel Foucault et Jacques Derrida ou de l’historienne Arlette Farge. Loin de se limiter au domaine français cependant, ces réflexions ont alimenté outre-Atlantique des pratiques de recherche qui ont cherché à replacer la source archivistique, la consultation de documents conservés dans des centres de ressources au cœur de leur méthode, à tel point qu’on a parlé du « tournant archivistique » (archival turn) qui a accompagné cette nouvelle effervescence.
Si l’on peut percevoir l’archive comme une forme de mémoire collective institutionnalisée, trois interrogations apparaissent. Qu’est-ce qui constitue un élément de mémoire digne d’être préservé ou non et, par extension, qui a le pouvoir d’en décider ? Quels sont les contours, plus ou moins fluctuants, du collectif désigné ? Quel est le rôle joué par les institutions – publiques, universitaires ou autres – dans la préservation de documents ?
Outre ces questions liminaires, le colloque propose d’interroger trois thèmes majeurs :
• Les rapports entre archive et mémoire
• La dynamique qui unit archive et recherche
• Les liens entre l’archive et les murs – physiques, métaphoriques ou disciplinaires – qui la composent et la circonscrivent.
Si l’image du mur est globalement associée à quelque chose de solide, monolithique voire d’insurmontable, il faudra également s’interroger sur les éventuelles porosités de ces murs, c’est-à-dire ce que l’archive peut laisser filtrer malgré tout. Il ne suffit pas de constituer un fonds d’archive, de collecter les documents laissés par une personnalité artistique, militante, médiatique ou encore politique. L’archive ne nous apparaît peut-être jamais aussi frustrante que lorsqu’on sait qu’une partie de ce qui avait initialement vocation à être conservé a en réalité été égaré, confisqué, voire délibérément détruit.
Tout d’abord, l’archive peut être envisagée comme l’une des sources qui donnent leur légitimité à certains champs disciplinaires. En effet, le recours à l’archive peut être perçu comme un moyen d’enraciner un champ d’étude dans une réalité matérielle et historique. Aux États-Unis, le rassemblement et la conservation de documents, d’objets aussi épars que variés en un ou plusieurs fonds d’archive ont souvent constitué des étapes préalables à une entreprise visant à complémenter, corriger voire contredire une historiographie dominante et partiale. Ce fut le cas pour l’histoire des femmes ou pour celle des Africains-Américains – pour ne citer que ces deux exemples – qui s’écrivent désormais depuis des départements de Women Studies et African American Studies. Quel rôle tient l’archive dans la consolidation ou le démantèlement de frontières disciplinaires ? Comment l’archive contribue-t-elle à donner de la légitimité à l’étude de groupes historiquement minorés, et comment permet-elle à ces derniers de forcer le mur d’enceinte universitaire afin de faire reconnaître l’importance de leur histoire et de leurs voix auprès des institutions d’enseignement ? À l’inverse, que dit une archive conservée hors de ces institutions, hors des centres de ressources consacrés et perçus comme tels, à l’initiative d’amateurs et d’amatrices, d’associations ou de communautés entière ? Partant, quelle place accorder aux archives orales et témoignages ? Comment interpréter le fait que ces archives sonores sont encore parfois peu exploitées par les chercheurs et chercheuses (Lang, Murat, Pardo 2020), et quel est l’impact de leur exploitation sur leurs champs disciplinaires respectifs ? En somme, par quels chemins se dessinent les contours d’une mémoire collective qui serait jugée digne d’être conservée ?
Les murs de l’archive renvoient également à l’enceinte physique de ces différents lieux consacrés à la préservation de cette mémoire collective institutionnalisée. On pourra ainsi analyser les lieux où se fait la conservation de cette mémoire ainsi que les liens entretenus entre ces lieux de mémoire et l’environnement social, politique et géographique dans lesquels ils s’insèrent. Comment interpréter par exemple l’ouverture du Musée national de l’histoire et de la culture afro-américaines à Washington en 2016 après des travaux débutés en 2012, soit à la conclusion du double mandat de Barack Obama, premier président noir des États-Unis ? L’archive est certes ce que ces murs renferment, mais ces murs eux-mêmes peuvent avoir une histoire. De quelle manière certains sites qui servent de dépôt de documents deviennent-ils eux-mêmes des lieux incontournables des repères distinctifs au sein d’une ville ? On peut notamment penser à l’émergence au vingtième siècle des bibliothèques présidentielles, implantées dans des villes telles que Independence dans le Missouri ou Abilene dans l’État du Kansas qui accueillent, respectivement, les archives liées à la présidence de Harry S. Truman et de Dwight D. Eisenhower. L’implantation de centres d’archives dans de petites localités loin des grandes métropoles peut aussi bien transformer la géographie de la ville elle-même qu’affecter les dynamiques de recherche.
Par ailleurs, qu’en est-il du mur comme archive ? À travers des inscriptions plus ou moins éphémères – fresque, tag, graffiti, gravure – les murs peuvent devenir les dépositaires d’une forme de mémoire collective, célébrer les illustres comme les anonymes. On peut ainsi penser au « Wall of Respect », peint en 1967 dans le quartier de Bronzeville à Chicago qui représentait les acteurs et actrices du mouvement africain-américain, aux centaines de fresques murales qui parsèment la ville de Los Angeles et qui peuvent rendre hommage aux personnalités liées à la ville ainsi qu’à la culture – parfois ethnique et raciale – des communautés qui la composent, ou encore aux mémoriaux de guerre situés à Washington DC. L’apparition à travers tout le pays de fresques en hommage à George Floyd, Breonna Taylor, ou encore Kobe Bryant au cours des dernières années ou, en décembre 2021, l’ajout sur le mémorial dédié à la guerre de Corée des noms des 43,000 soldats états-uniens tombés au cours du conflit attestent de l’importance des murs pour écrire, compléter et surtout pérenniser un récit collectif, que ce dernier soit communautaire ou national.
À l’inverse, il peut être difficile de trancher entre l’inscription murale qui constitue un élément de mémoire digne d’être préservé et ce qui disparaîtra irrémédiablement sous une nouvelle couche de peinture ou au cours d’une prochaine démolition. Les murs en tant que supports portent des inscriptions qui peuvent saisir les soubresauts, les interrogations et les aspirations qui agitent un quartier, une ville ou une communauté au même titre qu’un pamphlet ou une manifestation. De quelle manière peut-on documenter et enregistrer ces traces fugitives, ces graffitis qui peuvent, selon, être protestataires ou simplement marquer une territorialité commune mais qui, en définitive, viennent attester des enjeux politiques et culturels à laisser son empreinte dans l’espace public ?
Si l’archive fournit un moyen de mesurer, d’appréhender le réel, sa démesure occasionnelle déstabilise cette prise sur le réel : cette déstabilisation peut-elle, en soi, conduire à saper la légitimité scientifique d’une entreprise historiographique, à rebours de la vision d’une archive qui sert de soubassement matériel à la recherche ? À ce titre, on pourra s’interroger sur les effets que peut avoir l’archive sur la littérature, lorsque les manuscrits enfouis dans des chemises poussiéreuses se trouvent soudainement exhumés et édités en ouvrages posthumes. Dès lors, l’archive vient déstabiliser un corpus littéraire existant en lui adjoignant une excroissance aussi inédite qu’ambigüe. De nombreux exemples peuvent être convoqués, de la parution de A Long Fatal Love Chase de Louisa May Alcott en 1995 à celle de The Original of Laura de Vladimir Nabokov, publié en 2009 et qui a reçu un accueil pour le moins mitigé par la critique. Quelle place accorder à ces nouveaux écrits qui, à l’origine, étaient destinés à ne rester que de simples documents d’archives ? Comment les intégrer au reste de l’œuvre et quelles sont les problématiques soulevées par cette éventuelle intégration ?
L’archive conserve donc un double pouvoir d’un point de vue épistémologique, c’est-à-dire celui qui consiste à la fois à stabiliser et à déstabiliser la connaissance scientifique. Le colloque pourra également être l’occasion d’interroger les enjeux qui surgissent lorsque l’archive, ou plutôt les centres d’archives tiennent une partie du public et, parfois, une partie de la communauté scientifique à l’écart ou, pour le dire autrement, comment l’archive incarne le lien qui existe entre libre accès et libertés académiques.
Les propositions de communication en français ou en anglais doivent faire 300 mots et être accompagnées d’une notice biographique. Elles sont à envoyer conjointement à m.douzou et yohann.lucas. La date limite de soumission est fixée au 31 octobre 2022.
Call for Papers
Revisiting the archive: collective histories and academic freedom
Université de Rouen-Normandie, March 10, 2023.
During the second half of the twentieth century, works by historian Arlette Farge and philosophers Michel Foucault and Jacques Derrida – among others – have considerably contributed to our understanding of the notion of the archive. Far from being limited to the French academy, these works have fueled research practices across the Atlantic which have made the archival source the heart of their method, to such an extent that the expression “archival turn” was coined to better represent this new effervescence.
If the archive can be perceived as a form of institutionalized collective memory, three questions immediately appear. How do we decide if something is worth preserving and, by extension, who has the power to do so? What are the contours of this collective? What role do institutions – public, academic, or otherwise – play in the preservation of documents?
Beyond these preliminary questions, the conference will be the occasion to reflect along three main axes:
• The relationships between the archive and memory
• The connection between the archive and research
• The links between the archive and walls – be they physical, metaphorical or disciplinary walls – which are part of the archive and which circumscribe it.
If a wall projects the image of something solid, monolithic, even insurmountable, attention should also be given to the porosity that walls can contain, in other words, to what the archive can fail to hold in. Collecting documents left by an artist, an activist or a politician is only one step towards the constitution of an archive, and frustration runs high whenever researchers know that a part of what was originally meant to be conserved has been lost, locked off or even deliberately destroyed.
The archive can first be seen as one of the sources giving legitimacy to some disciplines. Indeed, various archives have been used as a way to root an academic field in a material and historical reality. In the US, the act of gathering and preserving documents as well as miscellaneous objects in an archive center has often been a prerequisite to efforts aiming at complementing, correcting, or contradicting a dominant and biased historiography. This was the case of women’s history and African American history, to name but two examples. What role is played by the archive in the consolidation or dismantling of disciplinary boundaries? How does the archive contribute in reinforcing the legitimacy of studying groups that have been historically marginalized, and how does it help them break down the academic walls that have kept their histories and voices at bay from colleges and universities? Conversely, what happens when archives are preserved outside of the academy or public institutions, on the initiative of amateurs, associations, or entire communities? By extension, what place should be given to oral archives and testimonies? If sound archives can still be vastly underused by researchers (Lang, Murat, Pardo 2020), what impact would a more systematic study have on their respective academic fields? In short, the conference will be the occasion to assess how the contours of a collective memory worth preserving are drawn.
The image of walls can also refer to the physical buildings where this institutionalized collective memory is kept. Attention can be given to the locations where this memory is preserved as well as to the relationship that exists between these buildings and the social, political, and geographical environment in which they are set. For example, what interpretations can be made of the opening of the National Museum of African American History and Culture in Washington DC in 2016, at the conclusion of the two terms of the first African American president, Barack Obama? The archive certainly designates what is held inside the walls, but these very walls may tell a story of their own about a community or a nation. To what extent can archival buildings become landmarks in some cities? We may think of the emergence of Presidential Libraries throughout the 20th century, set in cities such as Independence, Missouri or Abilene, Kansas which, respectively, are home to the archives of the Harry S. Truman and Dwight D. Eisenhower presidencies. Setting up archival centers in smaller towns, far from large metropolitan areas, can affect both the geography of the town itself and the way research is conducted.
Besides, what about the wall as a form of archive? Through more or less ephemeral inscriptions – tags, murals, graffiti, engravings – walls can be used as a medium that celebrates the famous and the anonymous alike, showcasing the contours of a community. Examples include the “Wall of Respect” which appeared in Bronzeville, Chicago in 1967 and which represented the main heroes and heroines of the black community in the 1960s, the hundreds of murals strewn all over Los Angeles which pay tribute to the people linked to the city or to the communities composing it. Walls remain a privileged medium when it comes down to writing, completing, and, more importantly, trying to make sure a collective narrative – be it national or community-based – stands the test of time. Illustrations of that include the mushrooming of murals that pay tribute to George Floyd, Breonna Taylor, or Kobe Bryant over the past few years, or the decision in December 2021 to add the names of the 43,000 US casualties of the Korean War to the memorial in Washington DC.
Yet, it can be hard to discriminate between an inscription on a wall that is part of a collective narrative – and as such, perhaps, worth preserving – and what might as well disappear under a new coat of paint or during the next demolition. As a medium, walls bear inscriptions that reflect the tensions and aspirations of a neighborhood, a city, or a community, just as a pamphlet or a demonstration would. How can we document and record these fleeting traces, these graffiti that can either express a form of protest or simply mark the boundaries of a common territory, but which, ultimately, underscore the political and cultural impact that can be attached to leaving one’s mark in the public space?
If the archive provides a way of measuring and grasping reality, its potential depth can destabilize this grip on reality. In the final analysis, can this destabilization undermine the scientific legitimacy of historiographic efforts? In this respect, we welcome inquiries about the effects of the archive on literature, when, for example, manuscripts resurface after many years and end up being edited posthumously. This destabilizes an existing literary corpus by adding a text whose status is as new as it is ambiguous. Many examples can be cited, from the publishing of Amiable with Big Teeth by Claude McKay in 2017 to the release in 2009 of The Original of Laura by Vladimir Nabokov, which has received mixed reviews to put it mildly. What can we make of these writings which were originally meant to remain mere archival documents? How can we incorporate them to the rest of an author’s work, and what are the problems raised by this potential incorporation?
>From an epistemological standpoint, the archive retains thus a dual power, that of stabilizing and destabilizing scientific knowledge. The symposium will also be the occasion to reflect on the issues that are raised when an archive center keeps part of the public – and sometimes part of the scientific community – at bay, or, in other words, to reflect on the relationship which exists between open access and academic freedom.
Proposals in French or English will include a 300-word abstract along with a short biographical sketch. Please submit them to m.douzou and yohann.lucas, by October 31, 2022.
Source: Yohann Lucas et Marion Douzou