Chères et chers collègues,
Nous avons le plaisir de vous transmettre ci-dessous un appel à communications en vue d’une journée d’étude organisée par le laboratoire junior OVALE. Celle-ci se tiendra le lundi 10 juin 2024 à Sorbonne Université, et portera sur le thème « Au lit ! »
Les propositions (en anglais ou français) devront être envoyées à OVALE (laboratoire.ovale) avant le 28 janvier 2024. N’hésitez pas à diffuser cet appel auprès de toute personne susceptible d’être intéressée, en particulier aux jeunes chercheur·euses et doctorant·es de vos laboratoires.
Bien cordialement,
Elizabeth MOULIN
Appel à contributions : Journée d’étude, 10 juin 2024, Sorbonne Université
« Au lit ! »
Organisateur·rices : OVALE, laboratoire jeunes chercheur·euses, rattaché à VALE (Sorbonne)
Injonction tendre ou ordre parfois menaçant qui nous replonge dans l’univers de l’enfance, « Au lit ! » désigne implicitement un moment de la journée (le soir, à l’heure du coucher), une pièce de la maison (la chambre et ses différentes variations), et explicitement un meuble : le lit, qu’il soit berceau, lit d’enfant, ou lit d’adulte partagé. « Au lit ! », avec son point d’exclamation, renvoie à la fonction performative du langage et plus précisément à la force perlocutoire de l’énoncé, qui produit un effet dans le monde réel (ou pas, si l’on a affaire à un enfant récalcitrant). Aller « au lit ! » est aussi une trajectoire, une traversée à la charnière de l’espace commun de la maison et de l’espace privé et intime de la chambre, à la charnière de l’éveil et du sommeil.
Si l’on passe en moyenne près d’un tiers de sa vie au lit, à dormir ou à s’endormir, que peut-on bien faire du lit et au lit en littérature ? Comment s’emparent les auteurs et les autrices de cet espace si singulier dans leurs œuvres ? Force est de constater que les activités liées au lit sont souvent passées sous silence, du moins en partie, dans les textes : entre le sommeil, temps d’absence au monde, et le sexe, parfois trop cru à décrire, on pourrait avoir l’impression que le lit est un grand absent en littérature, et il est bien souvent l’occasion d’ellipses narratives. Or lit et littérature sont intimement liés. Le moment de l’endormissement, notamment dans l’enfance, est propice à raconter des histoires. Comme dans les Mille et une nuits, c’est à l’heure du coucher, au lit, que nous avons découvert la littérature, notamment avec les contes de fées — dans lesquels le lit, de la « Princesse au petit pois », à la « Belle au bois dormant », en passant par les trois lits dans « Boucles d’or », joue toujours un rôle très important. Plus encore, c’est le sommeil lui-même et les songes qui nourrissent l’imagination et l’invention, servant ainsi de source d’inspiration à la création littéraire.
Au seuil du public et du privé, de l’éveil et du sommeil, lieu de tension entre vie, jouissance et mort, le lit est en réalité un espace d’entre-deux riche de sens qui ouvre en littérature une multitude de possibles, des réflexions ontologiques et des questionnements ininterrompus.
Eros et Thanatos
L’exclamation « au lit ! » implique de franchir une frontière : celle de l’espace neutre de la demeure à l’espace sexué et sexuel du lit. Impossible, bien sûr, de ne pas mentionner le lit d’amour où jaillit le plaisir solitaire ou à plusieurs, chez soi ou dans la chambre du libertin au XVIIIesiècle. Ce lit devient alors un espace à conquérir et où se joue le duel entre chasteté et transgression : cette jouissance physique devient source de création. Le lit devient le lieu de jeux et de supercheries comme les bed tricks, qui apparaissent déjà dans l’Ancien Testament mais qui sont consacrés par Shakespeare, où l’on substitue secrètement un·e partenaire sexuel·le pour un·e autre. Le lit, source de fantasmes, est alors le lieu du secret, à l’image d’Eros cachant son identité tous les soirs à Psyché. Ritualisé, il est lieu du coucher mais aussi de la nuit de noces, où est historiquement codifiée la transition de l’état virginal à celui d’être sexualisé, voire à celui de la grossesse. De l’exhibition des draps tachés de sang au mythique droit de cuissage, cette invitation au lit se prête à d’infinies inventions. L’histoire du coucher, l’histoire au coucher est un moment de création en littérature. Cette création est parfois prise au sens de genèse et de l’incarnation d’une nouvelle vie humaine. Celui-ci s’incarne lorsque le lit devient celui de l’accouchement d’où jaillit la vie.
À l’autre bout de la vie, le lit accueille le passage vers la mort. La mort, comme l’élan créateur, est accélérée par la consommation de drogues dans la littérature victorienne et décadente du XIXè siècle : on retrouve Sherlock Holmes dans un opium den londonien chez Conan Doyle. Les lits des fumeries d’opium est riche d’une tradition littéraire qui verse dans l’orientalisme et la décadence. Lieu de contagion et de danger, ce lit peut également devenir le lieu d’un crime, comme Desdemona que son mari Othello étouffe avec un oreiller dans la pièce éponyme de Shakespeare, ou comme souvent dans les romans de détective d’Agatha Christie où l’on retrouve la victime morte dans son lit au petit matin. Encore une fois, donc, l’espace du coucher devient le cadre d’une transition d’un état à un autre, de la vie à la mort.
Par ailleurs, ce deathbed est associé aux dernières paroles, aveux et confessions d’un personnage. Il se fait alors reliquaire, dépositaire des dernières volontés, un ultima verba qui consacre une frontière parfois trouble entre le lit et le cercueil ou même la tombe. Les tombeaux en poésie honorent et raniment la mémoire des disparus. De la vie à la mort, il n’y a qu’un (tré)pas, que l’on franchit donc lorsqu’on se met au lit. Ce mobilier anodin est donc le locus d’un palimpseste symbolique et littéraire qui semble infini.
Matérialité de la chambre et du lit
Au-delà de ce que l’on fait ou peut faire lorsqu’on va au lit, qu’est-ce qu’être au lit d’un point de vue phénoménologique ? Du couffin au lit médicalisé, du berceau au cercueil, le lit est un meuble qui, sous différentes formes, accompagne toutes les étapes de la vie d’un individu et l’accueille lorsqu’il est dans un état de fragilité ou d’inconscience passagère. On peut penser aux séances de psychanalyse que l’on propose allongé sur un divan. Pour le bébé, le lit remplace les bras protecteurs des parents. Les barreaux qui entourent parfois le matelas d’un enfant ou un lit d’hôpital protègent plutôt qu’ils enferment. Matériellement, tous ces modèles de lit ont pour point commun un espace spécifique, de préférence douillet (du tapis de feuille primaire au matelas technologique), conçu pour accueillir horizontalement le corps de celui ou celle qui a besoin d’un moment de repos. Le lit incite ainsi à une phénoménologie précise et différente. Le lit fait partie des meubles primordiaux que l’on doit avoir dans son lieu de vie (on se passe plus facilement de table que de lit !). Les habitats les plus réduits privilégieront un canapé-lit ou une banquette, les demeures moins modestes peuvent se permettre d’avoir un lit sans double identité/utilité, et mieux encore, une pièce dédiée à ce meuble. Le lit fait en effet partie de ces meubles privilégiés qui disposent d’une pièce leur étant réservée : la chambre.
Lieu de refuge, la chambre est le plus souvent personnelle et intime comme le lit. La chambre peut aussi être de passage (chambre d’hôtel), ou largement partagée le plus souvent en famille, avec celui où celle qu’on aime, avec ses frères et sœurs ou avec les grands-parents. Quand le lit n’est pas partagé, la chambre peut tout de même l’être jusqu’à parfois se faire dortoir.
Le lit comme espace de création
Plus largement, c’est la chambre elle-même qui devient chez certain·es un atelier, espace de création et d’invention. Pour Woolf, dans A Room of One’s Own, c’est la chambre qui est la condition de possibilité de la création. Si la chambre et le lit, comme espaces à soi séparés du monde, sont parfois nécessaires à la création, ceux-ci peuvent aussi confiner à l’aliénation et à l’enfermement — celui des confinements successifs par exemple au cours desquels nombres sont ceux et celles qui ont eu le loisir de tourner en rond. Pensons encore, en peinture cette fois-ci, aux figures de femmes allongées, inclinées, endormies dans leur lit, le corps dénudé voire entièrement nu exposé sur les draps. Comment sortir de ces représentations empreintes du male gaze qui fait du lit le réceptacle et l’espace de la monstration d’un corps féminin allongé, sexualisé, objectifié ? Lacérer la toile et les draps, comme le fit la suffragette Mary Richardson en 1914 pour la Venus de Velázquez dite de « Rokeby » ?
Le lit, qu’il bride la créativité ou inspire les artistes, apporte enfin une réflexion plus ample d’ordre philosophique et existentiel. Voir le monde depuis son lit, ou depuis son canapé, suggère en effet une phénoménologie de l’allongé, de l’incliné, voire même de l’avachi, invitant même à un éloge de la mollesse et du mou (cf. Géraldine Mosna-Savoye). « For oft when on my couch I lie » : la position oblique, ni debout ni assise, ouvre les portes de la création.
Les propositions (400 mots maximum) sont à rédiger en français ou en anglais et doivent comprendre un titre, une explication de l’argument principal, et être accompagnées d’une brève biographie, avant le 28 janvier 2024 à laboratoire.ovale@gmail.com.