CFP JE « La non-fiction narrative au prisme de l’enquête »

Chères et chers collègues,

Vous trouverez ci-dessous un appel à communications pour la journée d’études « Instruire le réel: la non-fiction narrative au prisme de l’enquête », qui se tiendra à l’université d’Artois le 29 février prochain. La date limite d’envoi des propositions est fixée au 12 décembre.

En vous en souhaitant bonne réception,

Charlotte Arnautou (Université d’Artois)
Charles Bonnot (Sorbonne Nouvelle)
Sigolène Vivier (Université d’Artois)

« Instruire le réel : la non-fiction narrative au prisme de l’enquête »
Université d’Artois, 29 février 2024

L’objet de cette journée est de réfléchir collectivement à la question des liens qui unissent non-fiction narrative et mise en récit en contexte anglophone, en s’appuyant sur des récits d’enquête de diverses natures, notamment criminelle. Le but sera de sonder l’interaction entre factualité et fictionnalité au sein de la production littéraire, filmique, ou radiophonique, en mettant au jour les stratégies discursives auxquelles fait appel ce genre labile, mais dont la popularité ne faiblit pas.

Enjeu commercial évident, la mise en récit sous forme d’enquête de faits présentés comme réels pose d’entrée de jeu la question de sa portée. Depuis les investigations journalistiques en immersion dans le Royaume-Uni de la fin du XIXe siècle, qui empruntent volontiers aux genres littéraires à la mode, jusqu’aux succès dans les nouveaux médias du true crime ou des variations sur la cause célèbre, le récit d’enquête fait vendre, fait parler, fait débat – et ce, pourrait-on postuler, du fait même de ses marques distinctives : l’adaptation des codes romanesques, le primat de l’expérience de l’auteur (qu’il efface ou théâtralise volontairement sa posture énonciative), ou encore la perméabilité putative entre fait et fiction.

Parmi les exemples les plus célèbres, on pense à The Maiden Tribute of Modern Babylon de W.T. Stead sur le commerce de jeunes filles vierges à Londres, à l’incontournable In Cold Blood de Truman Capote, mais aussi à l’attirance du New Journalism puis du gonzo pour les figures de hors-la-loi ayant maille à partir avec la justice – des Merry Pranksters de Ken Kesey aux Hell’s Angels décrits par Hunter S. Thompson. Crimes, délits, cold cases, scandales et autres objets éminemment racontables nous amèneront ainsi à sonder la mécanique de la fascination et ses spécificités narratives – l’attrait de l’inexplicable, du suspense et de l’irrésolu, voire celui, malsain, de la figure du meurtrier [1]. On entend ainsi montrer comment ces récits, qui se placent volontiers à la croisée épistémologique des méthodes, entretiennent un rapport singulier aux sources et au principe de composition – on pense par exemple à Jane: A Murder de Maggie Nelson, « série de collages de poèmes, sources documentaires, fragments d[e] journal intime […], brèves dans des journaux » [2], ou bien à The Fact of a Body: A Murder and a Memoir (2017), où le récit d’enquête sur le meurtre d’un enfant est entrecroisé avec une trame autobiographique dans laquelle Alex Marzano-Lesnievitch raconte le crime qu’elle a elle-même subi. La vitalité actuelle de la production documentaire et multimédia semble là aussi poser des questions d’ordre similaire, avec par exemple l’exploitation de la sérialité par les plateformes de streaming (à l’image de Making a Murderer, ou même de Britney vs Spears), ou encore l’orientation – éthique, esthétique – de la réception des auditeurs dans le cas du podcast (à l’instar de S-Town). On s’intéressera ainsi à la façon dont ces productions culturelles cherchent à interroger la « fabrique du savoir » : en entrelaçant fréquemment récit et métarécit, ne feraient-ils pas de la constitution de l’histoire un enjeu tout aussi central que son objet même ?

Enfin, les retombées de l’enquête dans le réel posent la question de ce que veut et peut la non-fiction narrative en mêlant de la sorte réflexivité, expérientialité et véracité, comme lorsqu’elle se donne pour mission politique de se constituer en quatrième pouvoir afin d’alimenter les prises de conscience publique (à l’image des journalistes muckrackers réformistes, ou bien de Nellie Bly s’infiltrant dix jours dans un asile psychiatrique [3], sans oublier les pionniers du genre que furent eux aussi London et Orwell). À l’aune du goût contemporain pour le fact-checking et le droit de réponse face au flux informationnel, on pourra ainsi interroger notre rapport ambigu au référentiel dès lors qu’interagissent réel, non-fiction et fictionnalisation. On pense par exemple ici à The Lifespan of A Fact (2012) de John d’Agata, fruit du dialogue entre l’auteur et son fact-checker sur la question de la narrativité, la factualité et la licence poétique, à partir de l’essai de l’écrivain sur la culture du suicide au Nevada ; un autre exemple pourrait être celui du débat sur la véracité de Travels with Charley (1962) de Steinbeck initié par le journaliste Bill Steigerwald ou l’écrivain Bill Barich dans leurs ouvrages respectifs [4]. On cherchera ainsi à examiner les modalités transmissives du genre, la suspension d’incrédulité (ou de crédulité) qu’il peut induire, ainsi que la place ambiguë qu’il réserve souvent à l’instance narrative, particulièrement lorsque l’auteur semble figurer le sujet de sa propre expérience littéraire, entre récit de soi et rencontre avec l’altérité, au gré d’une sorte de « savoir incarné, et non [d’]un compte rendu neutralisé d’une factualité mate » (Demanze, 2020 [5]).

Prolongements possibles :

– Du fait-divers au true crime : un mauvais genre en quête de respectabilité ?

– Le fait-divers : récit moraliste, conte pour adultes, récit d’édification, fait social total ?

– Quelle mise en scène de soi pour auteur et protagonistes ? Quel positionnement discursif et éthique pour auteur et lecteur ? Quel travail de distanciation ?

– Discours et métadiscours sur la non-fiction (accusations de calomnie, judiciarisation des publications, exigences de droit de réponse, nécessité de la preuve), en particulier dans le cadre des récits fictionnalisants

– Le temps de l’enquête : exploitation et mise en récit des archives, de l’historiographie et des mémoires dans le récit de non-fiction

– L’adaptation cinématographique et télévisuelle du récit journalistique (David Simon, de journaliste à showrunner ; Killers of the Flower Moon de David Grann, adapté par Martin Scorsese)

– Matérialité des supports et impact des modes de production à l’heure du numérique, de la mutation du marché éditorial et de la crise de la presse en général

Modalités d’envoi :

Les propositions (environ 300 mots) en anglais ou en français, accompagnées d’une courte biographie, sont à envoyer conjointement à charlotte.arnautou, charles.bonnot et sigolene.vivier pour le 12 décembre 2023.

Notes

[1] Cette fascination collective pour le meurtrier fonctionnerait mécaniquement au détriment de la voix de la victime, d’où la tentative de certains auteurs de la lui rendre, comme Ivan Jablonka avec Laëtitia (2016) dans la sphère francophone.

[2] Description issue du site de l’éditeur français (http://www.editions-du-sous-sol.com/publication/jane-un-meurtre)

[3] Voir Ten Days in a Mad-House (1887), texte visant précisément à dénoncer le traitement subi par les femmes dans les institutions psychiatriques et posant les fondations de la tradition du journalisme immersif.

[4] Barich, Bill. Long Way Home: On the Trail of Steinbeck’s America (2010) ; Steigerwald, Bill. Dogging Steinbeck (2012).

[5] Demanze, Laurent. « Portrait de l’écrivain contemporain en enquêteur. Enjeux formels et épistémologiques de l’enquête », in Gefen, Alexandre (dir.), Territoires de la non-fiction. Cartographie d’un genre émergent, Leyde, Boston : Brill/Rodopi, 2020.