CFP Esthétique des séries télévisées: une approche éthique

Esthétique des séries télévisées : une approche éthique

The Ethics of TV series’ Aesthetics

Colloque, 5 et 6 octobre 2023 / Conference, October 5th and 6th, 2023

Université Paul-Valéry Montpellier 3

RIRRA21, EMMA, IUF

Comité d’organisation : Claire Cornillon, Sarah Hatchuel, Monica Michlin, David Roche,

Comité scientifique : Julien Achemchame (Université Paul-Valéry Montpellier 3), Luca Barra (Università di Bologna), Paola Brembilla (Università di Bologna), Samuel Chambers (Johns Hopkins University), Claire Cornillon (Université de Nîmes), Florent Favard (Université de Lorraine), Sarah Hatchuel (Université Paul-Valéry Montpellier 3), Monica Michlin (Université Paul-Valéry Montpellier 3), Ariane Hudelet (Université Paris-Cité), David Roche (Université Paul-Valéry Montpellier 3, Institut Universitaire de France), Sarah Sepulchre (Université catholique de Louvain), Guillaume Soulez (Université Sorbonne-Nouvelle)

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Dans son ouvrage Nos vies en séries (2019) et un numéro d’Open Philosophy (2021-22), Sandra Laugier nous invite à comprendre comment les séries télévisées, par leur durée et les différents types d’attachement qu’elles suscitent, peuvent éduquer moralement les publics et les rendre attentifs à ce qui semble banal dans la vie ordinaire. Son travail se concentre sur les situations, dialogues, gestes, dilemmes, politiques identitaires et choix (politiques ou moraux) faits par des (groupes de) personnages, mais il ne prend pas nécessairement en compte la manière dont des structures narratives spécifiques peuvent encourager les spectateur.rice.s à adopter un point de vue éthique particulier. De même, Skorin-Kapov (2019) et Watson et Arp (2011) abordent des questions éthiques par le biais du cinéma ou de la télévision, mais n’interrogent pas l’éthique même du cinéma ou de la télévision.

L’objectif de ce colloque est précisément de se concentrer sur l’éthique qu’impliquent l’esthétique et la narration des séries télévisées. Les logiques de sérialité sont en effet multiples et historicisées : elles établissent des modèles à la fois inscrits dans des schémas reconnaissables d’une série à l’autre et propres à une série spécifique. Or ces modèles produisent du sens, notamment en termes éthiques, par la manière même dont ils s’organisent.

De la série formulaire aux séries semi-feuilletonnantes ou feuilletonnantes, chaque type de narration sérielle audiovisuelle ouvre un espace spécifique de négociation éthique et souvent idéologique, par exemple en ce qui concerne le statut des personnages, l’interaction des personnages avec les espaces, l’inscription dans le temps, la relation de la structure narrative à une logique de causalité et/ou de contingence.

Les séries semi-feuilletonnantes construisent des arcs sériels forts, mais elles semblent maintenir l’importance de l’épisode comme métaphore de l’être humain dans son individualité et spécificité (Cornillon/Hatchuel 2020). Ainsi, dans Urgences (E.R., NBC, 1994-2009), c’est précisément par la place accordée au quotidien du service, et non aux grandes intrigues, que les patients trouvent l’espace d’exister au sein de la diégèse. Le fait même d’opérer un équilibre entre l’intrigue feuilletonnante et les intrigues formulaires construit un propos sur le rapport à l’autre et sur l’empathie. L’épisode devient un site d’articulation entre ce que l’on connaît et ce que l’on ne connaît pas : il nous force à accepter d’être constamment en mouvement vers l’autre pour pouvoir évoluer nous-mêmes. Dans la série Person of Interest (CBS, 2011-2016), à travers la lutte des deux super-ordinateurs, se joue, sur un plan réflexif, la tension entre les deux grandes dynamiques de l’écriture sérielle – celle qui privilégie l’arc « macro » avec ses héros récurrents et celle qui se concentre sur une construction épisodique « micro » où se multiplient les personnages non-récurrents – ici, les « personnes d’intérêt » qui viennent inscrire, d’une certaine façon, les spectateur.rice.s au sein de la fiction. Tandis qu’elle se met à déployer des arcs feuilletonnants qui construisent une véritable « mythologie », la série conserve aussi ses aspects épisodiques. Dans la dernière saison, alors que les héros aimeraient pouvoir lutter exclusivement contre le super-ordinateur Samaritain, la Machine les rappelle sans cesse à l’ordre en leur envoyant les numéros de sécurité sociale des personnes dont le sort dépend d’eux. Le souhait de vivre une trame feuilletonnante libérée de l’« affaire de la semaine » est alors constamment frustré. Mais la force de la série est d’inspirer un attachement au formulaire car, si l’on refuse les numéros, si l’on dénigre la « personne d’intérêt » de la semaine, on fait le jeu d’une idéologie déshumanisante où certains individus ne compteraient pas. Person of Interestconstruit ainsi une tension entre notre désir de voir la Machine évoluer (et le récit se complexifier) et la nécessaire conscience que chaque vie (chaque épisode) est inestimable. La série apparaît ainsi comme une justification éthique de la répétition épisodique face à la puissance parfois dévorante de la progression feuilletonnante. On assiste alors à une re-sémantisation de l’expression « person of interest » : signifiant d’habitude « personne recherchée » ou « suspect potentiel », l’expression peut alors vouloir dire, dans le contexte de la série, « personne importante », « personne dont on se préoccupe », « personne que l’on ne peut abandonner ».

Qu’en est-il des autres formes sérielles ? Dans quelle mesure un feuilleton ou un épisode est-il dynamisé par la visée d’une certaine conception de la « vie bonne » (Taylor 1989 ; Ricœur 1990, 1995) ? Quel positionnement éthique peut impliquer telle ou telle variation sur le tout-feuilletonnant du soap ou sur le dispositif énonciatif de la sitcom ? Comment se situer dans une histoire où tout recommence toujours à zéro au niveau de l’épisode ? Qu’est-ce que les tensions entre formes narratives (ex : feuilletonnant contre formulaire) au sein d’une même série disent de son projet éthique ? Qu’est-ce que l’évolution de l’esthétique et/ou de la structure narrative au sein d’une même série dévoile de sa position éthique ? Comment les rapports de pouvoir, la violence et le voyeurisme peuvent-ils être traités dans une esthétique sérielle particulière ? Comment les séries d’un.e même showrunneur.se peuvent-elles se répondre sur un plan éthique (ex : Better Call Saul est-elle une réponse éthique à Breaking Bad ? The Leftoversest-il un pied de nez au public déçu de LOST ?).

Dans la continuité des travaux du groupe GUEST, nous sollicitons avant le 30 janvier 2023 des propositions (résumé de 300 mots avec une note biographique de 100 mots à envoyer à sarah.hatchuel et claire.cornillon) pour des communications de 30 minutes portant sur une ou plusieurs séries, sans se limiter à l’ultra-contemporain, dans une perspective pluri- et interdisciplinaire. L’objet « série télévisée » doit cependant rester au centre de la réflexion. Le choix de corpus de séries moins étudiées, telles que les séries anciennes, sera valorisé.

ENGLISH VERSION

In her book Nos vies en series (2019) and an issue of Open Philosophy (2021-22), Sandra Laugier invites us to understand how television shows, through their duration and the various kinds of attachment they elicit, may educate viewers morally and make them attentive to what seems to be unremarkable within ordinary life. Her work focuses on situations, dialogues, gestures, dilemmas, identity politics and (political or moral) choices made by (groups of) characters, but it does not necessarily take into account the way specific narrative structures may encourage spectators to adopt a particular ethical view. Similarly, Skorin-Kapov (2019) and Watson and Arp (2011) engage with ethical issues through film or television; but do not address the very ethics of film or television.

The aim of this conference is precisely to focus on the ethics involved in the aesthetics and narration of tv series. The logics of seriality are indeed multiple and historicized: they establish models that are both inscribed in patterns recognizable from one series to another and specific to a single series. Yet these models produce meaning, particularly in ethical terms.

From formula to semi-serialized or serialized shows, each type of audiovisual serial narrations opens up a specific space for ideological and ethical negotiation, for instance regarding the status of characters, the interaction of characters with various forms of space, the show’s inscription in time, the relationship between the narrative structure and a logic of causality and/or contingency.

Even if semi-serialized shows construct strong serial arcs, they seem to maintain the importance of the episode as a metaphor of human beings in their very individualities and specificities (Cornillon/Hatchuel 2020). For instance, in E.R., NBC, 1994-2009, it is precisely through the time devoted to everyday life, rather than to the overarching storylines, that patients get to exist within the diegesis. The very fact that the series creates a balance between serialized storylines and formulaic ones asserts an ideological position regarding alterity and empathy. In the space of the episode, what we already know (about the doctors or the nurses) and what we do not know (about the new patients) are connected: we are encouraged to care for “others” in order to evolve. In Person of Interest (CBS, 2011-2016), the fight between the two super-computers reflects the tension between the two major dynamics at work in serial writing – that which favours the macro/serial arc with its recurring, evolving heroes and that which concentrates on the micro/formulaic arc hosting many non-recurring characters, for instance in the form of guest stars. While the series unfolds serial arcs that build a true mythology for the series, Person of Interest also preserves its most formulaic aspects. In its last season, at a point when the heroes would like to fight exclusively against computer Samaritan, the Machine keeps sending them the Social Security numbers of unknown individuals whose lives may be in danger. Our desire to experience a serial narrative freed from the usual “case of the week”, is thus constantly frustrated. But the strength of the series is that it inspires within us a commitment and attachment to the formulaic format, because if we reject the numbers, if we disparage the week’s “person of interest”, we become exactly like Samaritan, endorsing a dehumanizing ideology in which some individuals “don’t count” or count less than others. Person of Interest thus creates a tension between our wish to see the Machine evolve (and the narrative become more complex) and the necessary awareness that each life (each episode) is invaluable. The show appears, therefore, as an ethical justification of formulaic repetition versus the powerful forces of evolving seriality. In this case, the “persons of interest” come to represent and anchor the viewers themselves within the story world. In this process, the expression “person of interest” is invested in a new meaning: beyond the usual meaning of “person the police is trying to locate” or “potential suspect”, it can signify, in the context of the series, “person of true interest to us”, “person that we (must) care about”, “person that we cannot give up on”.

What about other serial forms? To what extent is a series or an episode driven by the aim of a certain conception of a “good life” (Taylor 1989; Ricoeur 1990, 1995)? What ethical positioning can be implied by such and such variations on the soap opera’s extreme serialization or on the sitcom’s conditions of production? How can we situate ourselves in a story where everything always starts from scratch at the episode level? What do tensions between narrative forms (e.g. serial versus formulaic) within a series say about its ethical project? What does the evolution of aesthetics and/or narrative structure within the same series reveal about its ethical position? How can power relations, violence and voyeurism be treated in a particular serial aesthetic? How can series by the same showrunner respond to each other on an ethical level – for instance, is Better Call Saul an ethical response to Breaking Bad? Is The Leftovers a cynical nod to the disappointed audience of LOST?

In the wake of GUEST’s work, we are soliciting by 30 January 2023 proposals for 30-minute papers (abstract of 300 words with a biographical note of 100 words to be sent to sarah.hatchuel and claire.cornillon) on one or more series, in a pluri- and interdisciplinary perspective. The « tv series » object must however remain at the centre of the analyses. The choice of less studied series, such as older series, will be particularly appreciated.

References

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