« Ombres et lumière s dans les Amériques »

OMBRES ET LUMIÈRES DANS LES AMÉRIQUES
Colloque international
Université Côte d’Azur, EUR CREATES, Laboratoire LIRCES, Institut des
Amériques

9-10 décembre 2021

Les substantifs choisis pour la thématique du premier colloque
international des américanistes de l’Université Nice Côte d’Azur
semblent a priori constituer un duo antinomique. Néanmoins, appliqués
dans certains contextes (géographique, artistique, littéraire,
historique, politique ou économique), ils peuvent être envisagés comme
deux nuances complémentaires d’une même situation, d’un même évènement,
ou encore comme des éléments fatidiques d’une alternance binaire, si
l’ombre et la lumière sont comprises comme des métaphores de l’espoir et
du désespoir, de l’opulence et de la misère, de la réussite ou de
l’échec, de la clairvoyance ou de l’aveuglement.

Ce colloque interdisciplinaire invite les contributeurs tant
nord-américanistes que latino-américanistes à étudier les questions
afférentes à cette thématique. Les communications pourront porter sur
une aire géographique plus restreinte au sein du continent, ou adopter
une approche comparatiste, et les discussions viseront à appréhender les
Amériques dans leur globalité.

Afin de resserrer la perspective infinie d’analyse qu’offre la
thématique générale, nous proposons des axes qui englobent les deux
nuances dans une même réflexion, en vue de dégager des contrastes qui
caractérisent l’aire américaine au cours des siècles passés jusqu’à nos
jours.

Axe 1 : les Lumières et l’obscurantisme
Comment les Lumières, entendues comme un mouvement culturel,
philosophique, littéraire et artistique de la seconde moitié du XVIIe
siècle ont-elles cohabité dans les Amériques avec des pratiques
politiques et culturelles caractérisées par ce qu’on peut nommer, au
sens large, l’obscurantisme ?

Comment analyser la portée du projet universaliste des Lumières ainsi
que sa distorsion, aux conséquences parfois négatives, qu’il s’agisse de
l’esclavage, du mouvement colonialiste, des relations entre groupes
ethniques, ou de la politique extérieure ? Comment les idéaux de
rationalité et de tolérance prônés par l’esprit des Lumières se sont-ils
déclinés au cours de l’histoire à travers le continent ?

À l’époque contemporaine, quel est l’héritage des Lumières et dans
quelle mesure constitue-t-il l’objet de refus ? Cet axe englobe aussi
des réflexions qui portent sur un sens plus large des notions proposées
: l’alternance de politiques progressistes avec des régimes forts, voire
dictatoriaux, notamment en Amérique latine, est révélatrice d’une
ambivalence politique trop souvent dépendante d’un contexte économique
continental, voire mondial. Entre espoir de démocratie et mouvements de
répression, de nouvelles voies politiques sont-elles possibles ?
Autrement dit, l’esprit des Lumières peut-il se réinventer encore
aujourd’hui et quelles formes adopte-t-il ? Et comment les dirigeants et
les élites politiques et intellectuelles des nations américaines
entendent-ils ou rejettent-ils les aspirations et les réticences des
populations en matière de gouvernance ou de modèles économiques ?

Axe 2 : littérature
L’ombre et la lumière sont à envisager dans cet axe de réflexion comme
des métaphores ou des éléments d’une thématique omniprésente. Plus
largement, elles peuvent sous-tendre les courants littéraires.

À titre d’exemple, la littérature de l’American Renaissance traduit
cette ambivalence et reflète les contradictions engendrées par l’ère
industrielle aux États-Unis : des textes tels que ceux de Ralph Waldo
Emerson, ou Henry David Thoreau portent un message lumineux
d’épanouissement individuel, d’affirmation de la conscience et de la
créativité, tandis que naît en parallèle le courant gothique, Romantisme
sombre représenté notamment par Edgar Allan Poe, dont les textes mettent
en relief l’imagination, l’angoisse et le surnaturel, probablement en
réponse à une société où la domination de la rationalité allait
croissant. La composition de ce panthéon littéraire contient elle-même
une illustration des zones d’ombre et de lumière qui caractérisent
l’histoire des idées aux États-Unis : le groupe canonique initialement
identifié en 1941 par F. O. Matthiessen a été amené à être élargi par la
suite afin d’y inclure des femmes écrivains, telles que Harriet Beecher
Stowe et Fannie Ferne, ainsi que des écrivains afro-américains, tels que
Harriet Jacobs et Frederick Douglass, notamment grâce à l’essor des
cultural studies et des women studies.

En Amérique latine, les titres de romans qui incluent les termes «
sombra » ou « luz » foisonnent et il semble intéressant d’en étudier la
symbolique. La lumière et l’ombre peuvent ainsi être envisagées comme
des thèmes représentatifs du courant du réalisme magique dans la mesure
où ils combinent deux mondes apparemment contradictoires, celui de la
réalité quotidienne et celui du surnaturel ou du merveilleux. Mais ils
symbolisent aussi la pauvreté, l’espoir, l’avant-gardisme ou la
tradition. Citons à titre d’exemple, et entre autres, les romans du
Colombien Manuel Mejía Vallejo, La sombra de tu paso (1987) et Sombras
contra el muro (1993), la nouvelle de la Colombienne Soledad Acosta de
Samper, « Luz y sombra » (1869) ou encore celle de Gabriel García
Márquez, « La luz es como el agua » (1991), sans oublier El siglo de las
Luces (1962) de Alejo Carpentier. Au-delà de leur symbolisme évident, la
source d’énergie (la lumière) et sa nuance (l’ombre) sont parfois
porteuses de véritables projets culturels ou de propositions
littéraires, à l’image du roman noir latino-américain incarné entre
autres par Paco Ignacio Taibo II, Luis Sepúlveda, Leonardo Padura ou
encore Santiago Roncagliolo.

Axe 3 : arts plastiques
Dans le domaine des arts plastiques, notamment la peinture,
l’exploitation du clair-obscur né avec la Renaissance italienne
constitue un terrain d’analyse fertile. Ainsi l’œuvre d’Edward Hopper
est-elle largement structurée autour d’un contraste entre l’ombre et des
couleurs fluorescentes, symboliques de la modernité, mettant ainsi en
relief l’aliénation de ses personnages. La modulation chromatique se
situe quant à elle au cœur du courant synchromiste fondé dans les années
1910 par Morgan Russell et Stanton Macdonald Wright : les modulations
chromatiques, de l’ombre à la couleur vive, ont pour vocation d’inspirer
les mêmes émotions qu’une symphonie orchestrale.

En Amérique latine, plusieurs artistes ont également travaillé sur
l’ombre et la lumière pour suggérer la dualité entre la spiritualité et
la corporéité, entre la misère et l’espoir, ou simplement pour magnifier
des paysages autochtones. On pense notamment aux tableaux du Vénézuélien
Armando Reverón (1889-1954), considéré comme le maître de la lumière
tropicale et dont l’obsession pour voir la lumière l’a amené à composer
des paysages monochromatiques.

De manière plus générale, une réflexion sur le traitement de la lumière
et de l’ombre dans la peinture, la photographie ou le cinéma permettra
de mettre en regard les préoccupations, les techniques et les
expérimentations des artistes américains.

Axe 4 : alternance et coexistence du meilleur et du pire
La définition de l’identité culturelle telle qu’elle s’est développée
aux États-Unis est dans une large mesure incarnée par les hyphenated
Americans, acteurs du jeu d’ombres et de lumières constant que crée leur
double identité, et oscillant également entre ombre et lumière au cours
de l’histoire, lorsque certains d’entre eux ont été en proie aux
discriminations.

On ne peut envisager cette thématique sans évoquer la question de la
corruption et de l’intégrité des élites politiques et culturelles, et
envisagée à l’échelle du continent tout entier. Par exemple, la
procédure de destitution du président américain, de même que les
affaires de corruption impliquant de grandes banques d’investissement,
illustrent les dysfonctionnements des institutions politiques et
économiques, alors même que la démocratie exige d’elles la transparence.
Par ailleurs, ce terme de transparence, largement utilisé par exemple
dans les « Lois sur la transparence et l’accès à l’information publique
» que l’on a vu fleurir depuis plusieurs années dans la plupart des
nations latino-américaines, et véritable axe programmatique pour le
président Obama, qui a signé le Memorandum on Transparency and Open
Government dès le premier jour de son mandat, a tout à voir avec la
thématique de l’ombre et de la lumière ; il ajoute une nuance
supplémentaire à notre problématique et il s’érige comme un rempart
contre l’opacité, la corruption, les malversations en tous genres. Mais
cette exigence de transparence doit-elle être envisagée comme un réel
progrès ou comme un frein à l’initiative, à la spontanéité ou à la
créativité, selon le domaine dans lequel elle s’applique ?

Enfin, l’exercice de l’esprit critique, héritage des Lumières, qui peut
être entendu comme un moyen de sortir de l’ombre dogmatique, se trouve
parfois mis à mal : les idéologies obscurantistes, la répression des
libertés de pensée et d’expression par les dictatures, ainsi que la
distorsion de l’information par certains media, jalonnent l’histoire du
continent américain et soulèvent autant de questions.

Langues du colloque : français, anglais et espagnol.

Les propositions de communication (titre et résumé) sont à envoyer à
Anne-Claudine Morel <Anne-Claudine.MOREL>,
Ruxandra Pavelchievici <ruxandra.pavelchievici>
et Isabelle Clerc <Isabelle.CLERC>
avant le 30 septembre 2021, accompagnées d’un bref CV.