Chères et chers collègues,
Je vous remercie de bien vouloir diffuser l’appel ci-après, à propos d’une offre de contrat doctoral financé pour trois ans (à hauteur de 55 250 € pour 36 mois de thèse), par l’Ecole Doctorale Arts, Lettres, Langues des Pays de la Loire (Unité de recherche 3L.AM, Le Mans-Angers), et cofinancé par la Région Pays de la Loire, sur le sujet suivant:
Le sujet transculturel : poétique, éthique et politique chez Gibran Khalil Gibran et Ameen Rihani, deux écrivains « arabo-américains » de la première génération (1910-1930)
Le document de candidature est à compléter et déposer sur la plateforme TEBL, avant le 2 juin 2023, ici:
Bien cordialement,
Rédouane Abouddahab
Université du Mans
Labo 3L.AM
ARGUMENTAIRE SCIENTIFIQUE
Cette thèse se veut une contribution à l’approfondissement des connaissances de la littérature américaine d’origine arabe (ou Arab American dans la nomenclature étatsunienne). Il sera question d’identifier ses dynamiques et enjeux identitaires, exiliques et idéologiques, et de voir comment ceux-ci prennent forme dans une écriture essentiellement poétique, qui ne perd pas de vue les dimensions politiques et ontologiques qui la nourrissent.
Khalil Gibran et Ameen Rihani sont deux figures de proue parmi les écrivains arabo-américains de la première génération ; ils ont produit des œuvres significatives dont les enjeux sont suffisamment complexes pour engager une analyse socio- et psychopoétique, en un contexte charnière, où l’identité arabo-américaine était encore inchoative mais en plein développement. En une période où l’anglocentrisme racialiste avait la haute main (jusqu’au point d’amener les décideurs à promulguer une loi migratoire racialement « sélective », dite des quotas, et socio-culturellement dominatrice), Rihani et Gibran produisaient des œuvres bilingues et thématiquement hybrides afin de tisser des liens interculturels politiques au niveau interne mais aussi international.
La solution existentielle élaborée par eux est d’ordre philosophique (une « éthique » arabo-américaine y est identifiable), politique (préoccupée par la situation coloniale au Moyen-Orient, par le désir de démocratie et d’émancipation, notamment des femmes) et poétique (créatives de nouvelles formes d’être dans la société et dans le monde). Elle sera appropriée et développée par des écrivain.e.s et poètes interculturels ou transculturels des générations ultérieures (notamment Naomi Shihab Nye), ou alors rejetée par les assimilationnistes parmi eux (par exemple, Lawrence Joseph).
L’étude du corpus (The Book of Khalid et Myrtle and myrrh de Rihani, et The Madman et The Prophet de Gibran) conduira à explorer comment une écriture de la migration se transmue en une poétique et politique du trait d’union et de la transculturalité,
– en critiquant les réductions racialistes américaines dominantes à l’époque, par l’appropriation et la célébration des valeurs démocratiques telles que promues par les Transcendantalistes, avec lesquels ils ont établi une généalogie poétique digne d’attention,
– en révélant que ces auteurs américains-là ainsi que d’autres européens (surtout les Romantiques) sont eux aussi des lecteurs « inspirés » de la « sagesse » de l’Orient.
– en mettant les tensions interculturelles en sourdine par un processus d’universalisation assumé éthiquement et esthétiquement,
– en tâchant d’inscrire l’identité arabe dans une configuration cosmopolite d’ordre romantique fusionnel, où l’Orient serait le complément culturel de l’Occident, non l’Autre passif et modulable par le désir occidental (en quoi ils anticipent une partie des théorisations d’Edward Saïd sur l’« orientalisme »).
– en diluant le politique dans le poétique mais aussi en faisant des conflits en cours au Moyen-Orient (sous occupation ottomane) un problème de démocratie et de droits humains que l’Occident peut aider à régler.
en produisant une poétique d’une intertextualité étendue, laquelle reflète les connaissances multilingues et multiculturelles que ces romanciers et poètes n’ont cessé de convoquer pour construire littérairement ce qu’ils appelaient de leurs vœux culturellement et politiquement.
– sur le plan conceptuel en nuançant les enjeux de l’interculturalité et de la transculturalité, souvent confondues chez beaucoup de commentateurs, et en articulant les enjeux collectifs (éclairés par les concepts d’identité, de politique, d’idéologie…) avec ceux de la singularité et de l’intersubjectivité (à la lumière des concepts de désir, de sujet, de deuil et de trauma…).
Ainsi, l’écriture chez Gibran et Rihani sera étudiée à la lumière croisée des disciplines susmentionnées, afin de décaper les contours jusque-là conceptuellement flous dans les études consacrées à la transculturalité (notamment au Canada et aux États-Unis), par l’éclairage de l’interaction entre le système démocratique américain, idéologiquement pluriculturel et égalitaire, et le sujet transculturel qui cherche à s’y réinventer en fonction de la singularité d’une vision, d’une histoire personnelle et d’un rapport spécifique et par moments déroutant à la langue maternelle et à la langue acquise dans l’exil, processus dont le sens est en partie inconscient et, par là, susceptible d’être interprété littérairement et psychanalytiquement. En cela, la perspective testimoniale mais aussi volontariste de l’écriture de Gibran et Rihani, s’articulera avec une autre d’ordre confessionnel.
La recherche se déploiera comme suit :
Première année :
Lecture du corpus ; constitution de la bibliographie, du plan et de la problématique ; début de rédaction ; participation à la journée des doctorants du 3L.AM. Il s’agira dans un premier temps d’identifier les « discours » (au sens foucaldien) chez ces auteurs regroupés dans la société littéraire dite de la « Pen League », pour bien cerner les configurations interculturelles déployées dans les romans et poèmes de Gibran Khalil Gibran et d’Ameen Rihani. L’analyse du discours s’attardera sur les subtilités de la critique indirecte adressée à l’exceptionnalisme américain et son idéologie culturaliste. Elle tiendra compte de la tension du bilinguisme et ses modulations et réductions dans et par la poétique, l’éthique et la politique du transculturel chez Rihani et Gibran. (Gibran est passé de l’arabe à l’anglais en 1918, Rihani écrivait dans les deux langues.)
Deuxième année :
Poursuite de la rédaction ; une communication dans les doctoriales de l’AFEA, et, si possible, une communication dans un colloque international ; séjour de recherche au sein du Center for Arab American Studies (CAAS) à l’Université du Michigan-Dearborn pour étudier le bilinguisme comme entreprise de production du trait d’union (hyphen) identitaire, de la part de sujets arabes-américains en développement. Ceci amènera à l’analyse des enjeux transculturels dans le texte, non seulement dans leur dimension thématique, descriptive et testimoniale, mais également performative et confessionnelle, agissante et transgressive, non plus en tant que discours mais parole d’un sujet désirant (au sens psychanalytique).
Troisième année :
Fin de la rédaction de la thèse ; un article dans une revue à comité de lecture qui tâchera de mesurer l’étendue de l’influence des œuvres sur les générations futures de poètes et d’écrivaines et écrivains arabes-américains (N. Shihab Nye, M. Kahf, G. Orfalea, S. Hammad, L. Halaby…), dont l’identité « arabe-américaine » a été redéfinie après les événements du 11 septembre 2001.
Connaissances et compétences requises pour la future doctorant ou le futur doctorant :
Elle ou il doit être titulaire d’un master d’études anglophones ou d’un master d’études culturelles, option études anglophones.
Une excellente maîtrise de la langue anglaise et française est une nécessité. Le candidat ou la candidate doit posséder de bonnes aptitudes rédactionnelles.
Elle ou il devra être en mesure de réaliser des analyses textuelles précises et d’apprécier suffisamment la littérarité du texte, tout en intégrant dans le spectre analytique des enjeux extrinsèques relevant de l’américanité, de l’hybridation culturelle, des pressions sociopolitiques exercées sur l’artiste.
Aussi une connaissance honorable de la littérature et de la culture des États-Unis est-elle attendue, ainsi qu’un intérêt pour la théorie littéraire et les sciences humaines en général.
Être titulaire d’un concours de l’enseignement secondaire (Agrégation ou Capès, ou équivalent) est souhaitable mais pas obligatoire.
Intérêt du projet quant aux perspectives d’insertion professionnelle du doctorant :
La candidate ou le candidat sera l’une ou l’un des très rares spécialistes en France de ce domaine de recherche, ce qui donnera à son expertise une dimension davantage originale et rayonnante dans le champ de l’américanisme français, et facilitera son insertion dans l’enseignement supérieur, qui reste l’objectif professionnel principal de ce doctorat.