L’acte autobiographique chez les romanciers nord-américains :
Irruption de la non-fiction
Aix-Marseille Université, 6 et 7 juillet 2023
Organisateurs : Sophie Vallas (Aix-Marseille Université, LERMA), Arnaud Schmitt (Université de Bordeaux, CLIMAS)
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Au sujet de ces autobiographies ou memoirs publiés par des écrivains dont la littérature est le métier (« the literary writer’s autobiography »), Laura Marcus souligne que la connaissance, par le lecteur, du nom et de la réputation de l’auteur donne au récit de soi un certain statut littéraire : « Not all autobiographers are writers by profession, though there is a widespread assumption that the literary writer’s autobiography best defines the genre ». Loin des multiples récits autobiographiques émanant de célébrités ou d’anonymes que Rockwell Gray identifiait déjà comme révélateurs d’un « memoir boom » aux États-Unis dans un article de 1982 (« Autobiography Now ») et qui continuent à faire la part belle aux confessional memoirs, loin également des romans autobiographiques et des autofictions qui ont, pour reprendre les termes de Maurice Couturier, permis à nombre d’écrivains de « passer en fraude [leur] autobiographie », ce colloque s’intéressera à l’écriture autobiographique ouvertement publiée comme telle, plus institutionnelle sans doute, des romanciers nord-américains et s’interrogera sur la valeur et l’impact que peut avoir cet acte autobiographique : comment le geste autobiographique surgit-il dans une carrière dans laquelle domine la fiction ? À quel moment intervient-il ? Quels rapports entretient-il avec la création et la production fictionnelles ? Comment s’insère-t-il dans la bibliographie de l’auteur, apparaît-il comme un texte « mineur » aux côtés de textes « majeurs » ? Réclame-t-il une autre écriture, se place-t-il d’emblée dans un espace autre ? L’irruption de la non-fiction autobiographique dans une œuvre littéraire composée majoritairement de romans ou nouvelles soulève de nombreuses questions sur la logique artistique qui la sous-tend, sur la façon dont sont dès lors articulés des textes relevant de genres différents ou encore sur les choix éditoriaux faits au moment de la publication (mentions portées sur la couverture ou la quatrième, paratextes…).
On pense souvent qu’il y a une certaine logique à ce que l’écriture autobiographique se produise à la fin d’une carrière, acte réflexif récapitulant une vie, revisitant des écrits. Mark Twain, qui publia quelques chapitres de son autobiographie dans les années qui précédèrent sa mort, décida néanmoins que la publication de son autobiographie serait un acte posthume, n’intervenant que cent ans après sa mort (The Autobiography of Mark Twain, 2010). D’autres textes, tardifs également, évoquent parfois des actes de décès, leur auteur plaçant la mort d’un proche au cœur d’un récit qui éclaire tout autant la leur, au bout d’une vie désormais vue comme s’amenuisant inexorablement : les deux memoirs de Joan Didion, The Year of the Magical Thinking en 2005 (acte de décès et acte de mariage dans le même souffle) et Blue Nights en 2011 (acte de décès et acte de filiation), appartiennent à cette veine crépusculaire, tout autant que Patrimony de Philip Roth (1991). À l’inverse, certains textes autobiographiques font figure d’actes de naissance annonçant la venue au monde d’un nouvel écrivain : The Invention of Solitude (1982), de Paul Auster, met au monde la voix nouvelle, en prose, d’un poète et essayiste qui poursuivra, à partir de cette date, une carrière de romancier qui, dans une large mesure, développe et fictionnalise bien des thèmes contenus dans ce memoir séminal. À intervalles réguliers, Auster revient à l’écriture autobiographique, reprenant le récit de sa vie sous un autre angle et ajoutant ainsi un nouvel acte au théâtre de sa vie (The Red Notebook, 1995 ; Hand to Mouth, 1997 ; Winter Journal, 2012 ; Report from the Interior, 2013).
Échappant à ces deux extrêmes sur l’axe chronologique d’une carrière, certains textes s’inscrivent moins dans le temps qu’ils cherchent à explorer l’art même de leur auteur, s’offrant ainsi comme des didascalies jalonnant les différents actes de l’œuvre majeure qu’ils éclairent : Joyce Carol Oates, par exemple, n’a cessé d’analyser l’acte d’écrire au fil de sa vie ((Woman) Writer : Occasions and Opportunities en 1974, The Faith of a Writer : Life, Craft, Art en 2003, A Widow’s Story. A Memoir en 2011, The Lost Landscape. A Writer’s Coming of Age en 2015). À l’opposé de cette pratique autobiographique récurrente, un texte comme Burning the Days (1997), de James Salter, fait figure d’unique récit autobiographique publié au beau milieu d’une œuvre toute fictionnelle, presque un acte manqué, une autre histoire dont la structure et la voix ne diffèrent que peu de celles des romans, enchantant les lecteurs de Salter avec la même puissance. Certains textes autobiographiques, à l’image de Black Boy de Richard Wright (1945), interviennent encore comme des actes irréversibles, éclipsant la fiction de l’auteur.
Philippe Lejeune regrettait, dans Signes de vie, que « depuis qu’on a pris la sale habitude de publier les journaux, beaucoup de gens écrivent leur intimité en costume-cravate » (74). Un romancier, qui plus est reconnu, n’est-il pas tenté, justement, d’écrire son « intimité en costume-cravate », loin des actes autobiographiques spontanés, dits authentiques, dont les réseaux sociaux peuvent aujourd’hui se faire les vecteurs ? L’autobiographie peut en effet représenter un risque, dévoiler, volontairement ou non, les coulisses de la création fictionnelle, ternir, éclairer excessivement ou en tout cas altérer la figure d’un auteur.
Les communications pourront aborder, entre autres, les problématiques suivantes :
– L’origine de l’acte autobiographique dans une carrière de romancier
– La dialectique écrits mineurs / écrits majeurs
– Les spécificités stylistiques des récits autobiographiques par rapport aux textes fictionnels
– L’équilibre d’une œuvre, et plus spécifiquement la place occupée par ces textes autobiographiques dans l’œuvre globale
– La réception de ces textes autobiographiques, souvent isolés ou méconnus
– Le dialogue qui s’instaure entre textes fictionnels et non-fictionnels au sein d’une même œuvre (Laura Marcus : « The literary writer’s autobiography also bears on, and frequently comments upon, his or her other works »)
– Les outils d’analyse nécessaires (similaires, différents ?), pour étudier ces textes
– La persistance d’une distance entre le narrateur et l’auteur, même dans un texte autobiographique, similaire à celle incarnée par le concept de narrateur impliqué dont Jim Phelan, par exemple, perçoit la présence dans des textes référentiels tels que The Year of Magical Thinking de Joan Didion.
• Les propositions d’environ 400 mots accompagnées d’une notice biographique seront adressées à Sophie Vallas (sophie.vallas) et Arnaud Schmitt (arnaud.schmitt) avant le 30 juin 2022.
North-American Novelists’ Autobiographical Acts: Nonfictional Disruptions
Aix-Marseilles University, 6/7 July 2023
Organizers: Sophie Vallas (Aix-Marseilles University, LERMA), Arnaud Schmitt (University of Bordeaux, CLIMAS)
Addressing the topic of autobiographical texts or memoirs published by novelists, what she calls “the literary writer’s autobiography,” Laura Marcus underlines that the reader’s awareness of the name and reputation of the author immediately confers a certain literary status on the autobiographical text: “Not all autobiographers are writers by profession, though there is a widespread assumption that the literary writer’s autobiography best defines the genre.” Far from the host of confessional memoirs, either by celebrities or unknown authors, a publishing phenomenon identified by Rockwell Gray as a “memoir boom” in his 1982 article “Autobiography Now,” and far from so-called autobiographical novels or autofictions which, according to Maurice Couturier, allowed many writers to “smuggle their own autobiographies,” this conference will focus on autobiographical texts—paratextually and unequivocally identified as such—published by American novelists, on “the literary writer’s autobiography” in other words, and on their influence on the perception of the overall work of their author. We will wonder how autobiographical acts happen, when they happen, in a career dominated by fiction, what their links with the fictional part of the work are or why they are often perceived as minor texts among a fictional body of major ones. Also, do they conjure up specific writing techniques, a separate creative space? The disruption caused by autobiographical texts in a literary work mostly devoted to the writing of fiction raises several questions concerning the artistic logic underlying them, the way they are embedded in the complete oeuvre of the author and the editorial and paratextual choices made for their publication.
It often seems logical that authors should turn to life writing at the end of their career, an introspective act embracing their whole life, revisiting their own work. Mark Twain, who published a few chapters of his autobiography in the years prior to his death, decided nevertheless that its publication would be a posthumous act, a hundred years after his death more precisely (The Autobiography of Mark Twain, 2010). Other texts, also published late in their authors’ life, focus on the death of a relative or a friend while offering authors the opportunity to reflect on their own life, inexorably drawing to a close: Joan Didion’s autobiographical diptych, The Year of the Magical Thinking in 2005 (simultaneously mourning the death and celebrating the life of her husband, John Dunne) and Blue Nights in 2011 (doing the same for Didion’s adopted daughter, Quintana, who died in 2005), belongs to this crepuscular tradition in which writing almost amounts to issuing legal, performative acts standing for marriage, adoption, death. Such is also the case for Philip Roth’s Patrimony (1991). Conversely, some autobiographical texts herald the birth of an author: Paul Auster’s The Invention of Solitude (1982) delivered, in prose, the new voice of a poet and essayist who, from then on, would dedicate his career as a novelist to developing and fictionalizing many topics already present in this seminal memoir. Auster has gone on regularly publishing autobiographical narratives, each time revisiting his life from a different angle and adding new acts to the play of his life (The Red Notebook, 1995; Hand to Mouth, 1997; Winter Journal, 2012; Report from the Interior, 2013).
For other autobiographical texts, what is at stake is less the moment when they get written, either at the beginning or at the end of a career, than their capacity of exploring the very art of their authors. In that case, they tend to exist as so many comments on the fictional works which they occasionally revisit. Joyce Carol Oates, for instance, has kept on analyzing the act of writing throughout the years ((Woman) Writer: Occasions and Opportunities, 1974; The Faith of a Writer: Life, Craft, Art, 2003; A Widow’s Story. A Memoir, 2011; The Lost Landscape. A Writer’s Coming of Age, 2015). At the very opposite of Oates’ regular autobiographical practice, James Salter’s Burning the Days (1997) stands as a unique autobiographical text in a body of work otherwise entirely devoted to fiction, almost like a faulty act, even if the volume sounds like Salter’s powerful novels in terms of structure and voice, much to the delight of his readers. On the other hand, certain autobiographical texts, just like Richard Wright’s Black Boy (1945) for instance, can be seen as irreversible acts which eclipse the author’s fictional production.
Philippe Lejeune once regretted that “the dirty habit of publishing diaries has resulted into most people writing their privacy while decked out in their very best attire.” Is a novelist, and even more so an established one, not tempted, indeed, to write their autobiography in their best array, drifting away from spontaneous, supposedly authentic autobiographical acts which tend to be nowadays published on social networks? Autobiography indeed involves an element of risk and exposure since it may, whether purposefully or not, allow the reader to get a behind-the-scenes look at the making of fiction, and thus disrupt the construction of the figure of the author.
Proposals may address, among other issues, the following:
– The origin of the autobiographical act in a novelist’s career
– The minor works/major works dialectics.
– Stylistic specificities of autobiographical narratives versus fictional texts
– The balance in an author’s oeuvre, and more specifically the place occupied by the autobiographical texts in the overall work
– The reception of the autobiographical texts, often isolated or unknown
– The dialogue between fictional and non-fictional texts within a work (Laura Marcus: “The literary writer’s autobiography also bears on, and frequently comments upon, his or her other works”)
– The tools needed for analysis (similar, different?) to study the autobiographical texts
– The persistence of a distance between the narrator and the author, even in an autobiographical text, similar to that embodied by the concept of implied narrator whose presence Jim Phelan, for example, detects even in referential texts such as Joan Didion’s The Year of Magical Thinking.
• Please submit an abstract of approx. 400 words and a short bionote to sophie.vallas and arnaud.schmitt by 30 June, 2022 at the latest.
Source: Arnaud Schmitt