Projet ILA 2 :
Ici, là-bas, ailleurs : le transnationalisme par ses acteurs – Subjectivités et stratégies d’adaptation dans les Amériques (16e-21e siècles)
Appel à communications
Colloque
« Le transnationalisme dans les Amériques et les jeunes générations »
8 et 9 juin 2023, Université Bretagne Sud, Lorient
Argumentaire et hypothèses
Le projet ILA 2 vise à expertiser l’impact du transnationalisme dans l’aire des Amériques selon une approche originale, celle de l’expérience subjective des acteurs et des agents du transnationalisme. Il s’agit de porter la focale sur le regard que les colons ou migrants portent sur eux-mêmes et sur leur expérience, afin de comprendre comment ces hommes et ces femmes ont vécu ces mouvements trans-impériaux, trans-coloniaux et trans-nationaux. Nous avons, jusqu’à présent, étudié des groupes de trans-migrants, mais il convient aussi de se pencher sur leurs enfants et même leurs petits-enfants, ceux qui sont désignés comme la « deuxième » génération et la « troisième » génération, ici, les « jeunes générations », car eux aussi peuvent voir dans « le pays » une forme d’ancrage, des repères, des référents normatifs dont se nourrit leur identité.
Il ne faudrait pas croire que, dans ce que nous venons d’exposer, nous considérions comme une évidence l’idée d’une « jeune » génération, d’une « seconde » génération, d’une « troisième » génération. Nous nous plaçons dans la perspective des travaux d’Abdelmalek Sayad (« Les Trois âges de l’émigration algérienne en France », 1977 ; « Les enfants illégitimes », 1979) qui s’inscrivent dans des recherches portant sur le cas de la France, à un moment, les années 1970 et 1980, où il est fait le constat du passage à une immigration dite de peuplement s’agissant des familles magrébines. L’expression “seconde génération” permet alors de distinguer des formes de rupture avec la génération des parents, celle de la mobilité. Elle n’est pas seulement un usage de convenance pour nos analyses : elle sous-tend et oriente nos hypothèses de travail. Car cerner et dégager une « seconde » ou une « deuxième » génération par rapport à la précédente, et notamment la « première », celle des trans-migrants, cela suppose que l’intégration deviendrait inévitable – et dans certaines sociétés et pour certains acteurs, elle serait même souhaitable. Mais est-ce le cas dans les Amériques ? Nous faisons l’hypothèse que, d’une génération à l’autre, il émerge une rupture avec l’histoire de la génération précédente qui est vécue comme passée dans les liens au « pays » et dans l’articulation des termes du triptyque au fondement de notre réflexion et qui donne aussi son titre au projet ILA 2 : « Ici », « là-bas », « ailleurs ».
L’hypothèse de ce colloque est que ces liens transnationaux que les nouvelles générations peuvent – ou non – entretenir avec le « là-bas » que représente le pays d’origine sont sensiblement différents de ceux qui ont migré (qu’il s’agisse de leurs parents ou de leurs
grands-parents). Le transnationalisme tendrait ainsi à s’estomper au fil des générations, les premières générations de colons ou de migrants restant attachés à leur pays natal, tandis que les générations nées dans les Amériques seraient moins attachées à leurs racines, phénomène qui transformerait l’identité même de leurs communautés.
Objectifs
Nous voudrions ainsi vérifier comment, dans quelle mesure, et pour quelles raisons le(s) identité(s) transnationale(s) portées par les générations issues des mobilités de trans-migrants s’exprimeraient parmi les nouvelles générations : peut-être sur le mode d’une « double absence » ou d’une double présence telles que A. Sayad les a repérées (La Double absence. Des illusions de l’émigré aux souffrances de l’immigré, 1999). Qu’en est-il de la pérennité du concept de « double vie » mis en avant par l’anthropologue spécialiste du transnationalisme Nina Glick-Schiller pour définir le transnationalisme et distinguer les transmigrants des migrants (N Glick-Schiller, L Basch et C Blanc-Szanton, Nations Unbound: Transnational Projects, Postcolonial Predicaments, and Deterritorialized Nation-States, 1994) ? D’ailleurs Nina Glick-Schiller participera au colloque pour nous éclairer sur ce point.
Les travaux de Dino Cinel (The National Integration of Italian Return Migration 1870- 1929, 2002) et Joel Perlmann (Italians Then, Mexicans Now, 2005) se penchent sur les liens qui continuent d’exister entre jeunes générations et le pays d’origine de leurs parents, rappelant que, même si les jeunes générations se sentent plus américaines qu’italiennes ou mexicaines, elles maintiennent des liens avec le pays natal de leurs parents. Quels sont ces liens, affectifs, culturels, identitaires ? Pourquoi et dans quelle mesure ces nouvelles générations continuent- elles d’assumer des discours transnationaux ?
Il conviendra de réfléchir au rôle de la communauté dite « ethnique » où ils vivent pour tenter de comprendre les modalités de leur attachement à un « pays » désormais plus lointain pour eux. Nous voudrions également cerner l’impact du regard porté sur eux par la société d’accueil, de ces assignations identitaires qui les ramènent, de façon répétée le cas échéant, à l’héritage de leurs parents, dans le maintien ou au contraire le relâchement voire la dissolution de liens transnationaux.
Inversement, on peut envisager qu’il se produise, parmi les individus des nouvelles générations, des phénomènes de réappropriation d’un héritage culturel qui s’avère une (re)construction leur permettant de se (re)positionner dans la société qui est désormais la leur. Le « pays » qu’ils se représentent et projettent peut alors être sensiblement différent de celui avec lequel ont pu s’identifier les premières générations. Les liens transnationaux, sans être nécessairement relâchés, seraient mobilisés autrement et à d’autres fins. Cette piste peut également être envisagée dans notre réflexion.
Axes
Conformément à l’approche développée par ILA 2 qui s’attache aux subjectivités transnationales, nous voudrions revenir à la façon dont ces nouvelles générations se perçoivent et se définissent face aux liens intimes que leurs parents – mais aussi elles-mêmes – entretiennent avec leur pays d’origine, les sentiments que leur inspire ce « pays » peut-être plus lointain mais avec lequel elles restent néanmoins liées :
– Comment la vision du pays d’origine, de ce « là-bas » du triptyque qui donne son nom au projet ILA 2 (« Ici, là-bas, ailleurs »), évolue-t-elle au fil des générations ? Et qu’en est-il de la représentation de cet « ici », de la société qui a accueilli leurs parents ou grands-parents ?
– Comment ces nouvelles générations se positionnent-elles vis-à-vis de l’héritage culturel et social de parents et même grands-parents qui ont su maintenir les liens avec le « pays » ? Font-elles perdurer les liens transnationaux ou bien les mettent-ils à distance ? Nous voudrions comprendre si ces phénomènes de relâchement ou bien de reformulation des liens
transnationaux se produisent de la même façon au cours des siècles (depuis la période coloniale), dans le temps, et également dans chacune des aires américaines.
– Dans quels contextes socio-politiques et historiques a évolué le regard porté par les individus issus de nouvelles générations sur les déplacements de leurs parents ? Nous pensons notamment aux étapes de la construction des États-nations américains, aux 19e et 20e siècles.
– Le facteur temps, allié au processus d’intégration, transforme sans nul doute les modalités qui régissent le transnationalisme, notamment lorsque ce dernier concerne les enfants et petits-enfants des transmigrants, telle est l’hypothèse de ce colloque. Mais selon quelles autres facteurs et variables ?
Les propositions de communication en français ou en anglais (un résumé d’une dizaine de lignes et une courte biographie) sont à envoyer aux trois co-organisateurs avant le 10 février 2023 :
Marie-Christine Michaud : marie-christine.michaud Emmanuelle Sinardet : emmanuellesinardet
Bertrand Van Ruymbeke : bertrand.van-ruymbeke