Empathie sélective: Etats, silence médiatique et minorités

Chères et chers collègues,

Veuillez trouver ci-dessous un appel à communication pour un colloque intitulé "Empathie sélective : Etats, silence médiatique et minorités", qui se déroulera à Paris en décembre 2021. Les propositions de communication d’environ 300 mots (en français ou en anglais) sont à envoyer pour le 1er septembre 2021 à : empathieselective

Bien cordialement,

Julien Brugeron, pour le comité d’organisation"

Empathie sélective: Etats, silence médiatique et minorités

Julien Brugeron (Université Paris Nanterre)

Allan Deneuville (ArTeC, Université Paris 8, UQAM)

Soukayna Mniaï (Université Paris Nanterre)

Dates du colloque: entre le 13 et le 17 décembre 2021 à Paris

(dates précises à déterminer selon les conditions sanitaires)

Date limite d’envoi des propositions: 1er septembre 2021

(English version below)

Des émeutes en Ukraine aux révélations d’Edward Snowden en passant par les attentats terroristes ou les vagues de migrations syriennes et les catastrophes humanitaires qui en découlent, l’attention accordée à des événements marquants est telle qu’elle en viendrait presque à banaliser certaines tragédies reléguées au second plan des premières. Aussi la surmédiatisation de la pandémie de Covid-19 a-t-elle constitué un écran médiatique majeur qui a rendu presque inaudible la reprise des bombardements russes à Idlib en Syrie en décembre 2019, le conflit frontalier au Haut-Karabagh en juillet 2020, l’exploitation des Ouïghours au Xinjiang, ou l’aggravation de la crise humanitaire au Yémen ces derniers mois, pourtant qualifiée par certains médias de “pire crise humanitaire au monde”. Alors même que la diffusion d’internet et des réseaux sociaux permet un accès plus immédiat et mondial à l’information, des formes de sélection empathique perdurent.

L’empathie peut se définir comme le fait de se mettre à la place d’autrui et de percevoir ce qu’il ressent. Ce terme apparu en langue allemande à la fin du XIXe siècle (Hochmann) s’est popularisé ces dernières décennies en psychologie, neurosciences et sciences sociales, suscitant d’importants débats sur les phénomènes psychiques et sociaux qu’il recouvre (Perreau).

Nous proposons de nous intéresser à l’empathie comme une notion qui fait référence à des ressentis individuels mais aussi à leurs formes d’expression, privées ou publiques, politiques et artistiques, verbales (réseaux sociaux, communiqués d’organisations, discours ou pancartes lors de rassemblements, pétitions, etc.) ou non-verbales (minutes de silence, marches blanches, photographies, peintures, danse, etc.).

L’empathie ressentie ou non face à différents phénomènes peut dès lors être lue comme le reflet d’un rapport au monde et aux autres. L’empathie est ainsi un processus individuel, mais qui s’inscrit dans des cadres collectifs. Essayer de comprendre les ressorts de cet investissement empathique du public amène donc à s’interroger sur la formation des sentiments d’appartenance collective des individus, et des valeurs qui les sous-tendent. L’ampleur et le cadrage proposés par le traitement médiatique orientent et reflètent d’un même élan des sentiments d’empathie au sein des populations. Si la relation entre médias et empathie est forte, le traitement médiatique n’est toutefois pas un reflet exact des émotions que suscitent des événements. Il existe différents degrés d’émotion face à un même événement et au traitement médiatique qui en est fait : différents facteurs peuvent expliquer ce que Gérôme Truc définit comme des « modes de concernement ». On peut ressentir une empathie particulière en raison de caractéristiques communes (âge, sexe, emploi, lieu de vie, etc.), d’expériences personnelles ou familiales, ou encore de liens historiques, culturels ou politiques. En somme, quelles conditions socio-politiques déterminent l’empathie et son absence ?

Tout d’abord, les médias jouent un rôle fondamental dans le cadrage des faits d’actualité, et orientent ainsi les réactions à un événement. Ainsi, le traitement médiatique de différentes crises à travers le monde ne semble pas se déployer dans une même envergure. Comment expliquer que l’incendie de Notre-Dame ait occupé l’attention continue des chaînes d’information et de la presse mondiale quand, la même année, les médias occidentaux ne commencent à s’intéresser à l’incendie en Amazonie qu’après un certain temps de latence, au détriment du vivant en général ?

Provoquant l’ire d’une partie des réseaux sociaux, ce traitement médiatique est si sélectif que, même une fois ces incendies mis sur le devant de la scène, ils sont présentés comme les destructeurs du "poumon vert" du monde (occidental) assigné à une fonction unique : veiller à la survie d’autre chose que lui-même. Les populations et les écosystèmes ne sont pas considérés comme des êtres à part entière mais comme des vies cantonnées à de simples moyens, réduites au silence de l’utilitaire.

Origine possible de la mobilisation, l’empathie suscitée par une atteinte à « ce à quoi nous tenons » (Dewey) fait se mouvoir individus et collectifs. Ces entrepreneurs de cause s’appuient éventuellement sur ce processus émotionnel pour générer un soutien à leurs actions. C’est notamment le cas de réfugiés Ouïghours ou d’ONG les défendant, ou encore d’actions comme celles de Greenpeace pour attirer l’attention sur les effets concrets des actions humaines sur la forêt amazonienne.

De quoi ce « réchauffement médiatique » sélectif (Dominique Boullier) est-il le nom ? Si nous ne sommes plus dans une ère post-empires mais précisément à l’apogée d’une logique globale de néo-impérialisme menée par l’Europe, les États-Unis et le Japon (Samir Amin), comment s’opère cette redéfinition des hiérarchisations de l’attention précédemment évoquées ? En somme, quelles sont les modalités globales qui déterminent l’attention que nous portons à tel événement qui se voit accorder (ou non) le statut de crise mondiale ? Comment et avec quels dispositifs se forment ces communautés empathiques ?

Il s’agira alors durant ce colloque d’aborder les questions suivantes :

• Comment la littérature, et les arts performatifs au sens large, ainsi que les activistes politiques, les juristes, et les individus anonymes luttent-ils.elles pour faire entendre ces voix réduites au silence ?

• Comment faire entendre sa voix dans un univers médiatique marqué par de fortes polarisations attentionnelles?

• Dans une approche phénoménologique, comment caractériser le fait d’être mis sous silence?

• Comment, dans un cadre universitaire, pouvons-nous parler de ces questions sans se les approprier au point de rendre notre posture éminemment contradictoire, et prendre publiquement la place des premier.e.s concerné.e.s ?

• Comment produire une connaissance sur ces questions sans octroyer à notre discours le premier rôle, mais en parlant conjointement avec celles et ceux réduit.e.s au silence ?

• Comment parler pour les non-humains ?

Profitant de l’horizon intellectuel et artistique déployé durant ces cinquante dernières années à l’Université, sous l’influence de la French Theory, à travers l’étude des vies marginales (Foucault), précaires (Agamben, Butler), et subalternes (Spivak), ce colloque entend aborder l’empathie sélective et l’ensemble des dispositifs (techniques, médiatiques, politiques et idéologiques) qui la sous-tendent, ainsi que les réponses apportées par les différentes formes d’art.

Ce colloque se tiendra à Paris sur deux journées à l’automne 2021 (date à préciser en fonction de la situation sanitaire). Une solution mélangeant le présentiel et le distanciel sera envisagée pour les personnes ne pouvant effectuer le déplacement physique. Nous encourageons les propositions venant des universitaires, mais également de toutes personnes intéressées par ces questions : écrivain·es, plasticien·nes, cinéastes, juristes, responsables d’associations, militant·es, etc. Aussi, dans un cadre qui ne se borne pas à la francophonie mais à toutes les sphères linguistiques, encourageons-nous non seulement les interventions universitaires traditionnelles, sous la forme classique d’une communication à une ou plusieurs voix, mais également les performances, les entretiens en direct, l’art-vidéo, la présentation de documentaires, les ateliers de réflexion, l’art comme recherche, la recherche-action, etc. Nous invitons les participants et participantes à proposer à la fois recoupements géographiques et intersections théoriques (éco-féminisme, théorie éco-queer, droit animal, etc.), ainsi que des pratiques polyformes : cinéma, littérature, arts plastiques, etc.

Les communications ne devront pas durer plus de 20 minutes et nous demandons aux participant.e.s de bien vouloir respecter ce cadre.

NB: Nous encourageons les participant.e.s à l’étranger à envisager une intervention en visioconférence afin de respecter les impératifs écologiques mondiaux.

Mots-clefs (liste non exhaustive) : – résistance et littératures des minorités – droit, minorités et système judiciaire – activisme socio-politique – théorie de la reconnaissance et phénoménologie de l’expérience minoritaire – droit animal – queer studies – African-American studies – global studies – North-African studies – études francophones – Performance art – media studies – Économie et écologie de l’attention – Care studies

Orientation bibliographique:

BUTLER, Judith. Precarious life: the powers of mourning and violence. London ; New York: Verso, 2006.

CHURCHILL, Ward, “I am an Indigenist: Notes on the Ideology of the Fourth World” in Acts of Rebellion: The Ward Churchill Reader (New York: Routledge, 2003)

CITTON, Yves. Pour une écologie de l’attention. La couleur des idées. Paris: Seuil, 2014.

DAS, Veena. Affliction: health, disease, poverty. New York: Fordham University Press, 2015.

GOFFMAN, Erving. Les Cadres de l’expérience, Paris, Éditions de Minuit, 1991.

HOCHMANN, Jacques. Une Histoire de l’empathie, Paris, Odile Jacob, 2012.

HONNETH, Axel, La lutte pour la reconnaissance. Paris : Gallimard, 2015.

PERREAU, Laurent. Chapitre 1. Empathie et sciences sociales : les divers motifs d’une mise à distance In : Les paradoxes de l’empathie : Philosophie, psychanalyse, sciences sociales [en ligne]. Paris : CNRS Éditions, 2011.

SPIVAK, Gayatri Chakravorti. Les subalternes peuvent-elles prendre la parole ? Paris : Amsterdam, 2009.

TRUC, Gérôme. Sidérations : une sociologie des attentats, Paris, PUF, 2016.